Etape 14 – Le Puy – Concis – Costeros – Landos 29 km (334 km)
Ce vendredi 5 juin, il me faut reprendre la route vers Saint-Gilles que l’on appelle ici la Regordane. J’ai mal dormi, mais ceci est la vie tout simplement. Peut-être le fait de me retrouver pèlerin après un arrêt de 14 jours sans vraiment d’efforts physiques ? Il faudra que mon corps se réhabitue de nouveau aux efforts du port du sac de 12 kg (avec deux litres d’eau), à la chaleur et à cette distance de 29 km qu’il va falloir avaler. C’est peut-être un peu long pour une reprise. Cela vaut bien une photo avec mes amis hospitaliers avant d’aller à la bénédiction du pèlerin à la cathédrale. J’en connais bien le déroulement, mais cette fois-ci, je serais présent comme acteur partant.
En fait, ce n’est que par extension que l’on appelle Regordane le chemin que j’entreprends. En réalité, à l’origine, le « vrai » chemin de Regordane se délimite entre Luc (que nous verrons un prochain jour) à Alès. Il traversait la provincia de Regordana évoquée en 1323 dans un acte du château de Portes (nous en reparlerons). Ce mot serait dérivé de gord, gourd en relation avec les vallées profondes des Cévennes. Son tracé naturel suit la faille ouverte entre la barrière du Mont Lozère.
Les Romains devaient l’emprunter mais c’est surtout sous l’empire carolingien que cette voie était importante, reliant l’Ile de France au port de Saint-Gilles. La chanson de geste « Le Charroi de Nîmes » se faisait l’écho de l’animation qui y régnait vers 950 : « chars et charrettes ! a à grant planté ».
S’il servit au transport des marchandises, c’est aussi parce qu’au Moyen Âge de nombreux pèlerins y passaient pour se rendre à Saint-Gilles. On peut imaginer ici un fonctionnement identique à ce qui se déroulait sur le Chemin de Saint-Jacques : une marche éprouvante sur des sentiers très pierreux, des pèlerins demandant l’aumône pour continuer leur route, des paysans en quête de ce qui se passait à l’extérieur de leur village…
Qui était donc ce saint Gilles ? Une légende prétend qu’Aegidius, grec d’une famille illustre, aurait quitté son pays pour fuir la renommée que lui valait sa vie d’ascète et ses miracles. Il se retira d’abord sur les rives du Gardon puis près de l’embouchure du Rhône. Au cours d’une partie de chasse, une biche poursuivie par les hommes du roi Wanba vint se réfugier près de lui. Découvrant l’ermite blessé, le roi ému lui offrit la vallée Flavienne pour y bâtir un monastère. C’est donc sur des pas de pèlerin du Moyen Âge que j’entame ce jour.
La sortie du Puy est particulièrement raide, c’est le moins que l’on puisse dire. Puis, c’est une succession de petites routes, de chemins herbeux ou de terre tassé. Il fait très chaud si bien que bientôt, je manque d’eau. Une vieille dame méfiante me passe une bouteille d’eau au travers sa fenêtre. Je dois avoir une sale tête. Et c’est ainsi qu’après huit heures de marche, j’arrive à Landos. Une bonne petite bière bien fraiche est la bienvenue. En arrivant au gite communal, je découvre les deux André que j’accompagnerais pendant plusieurs jours, André le Corrézien, ancien receveur de son état, André le Bruxellois les deux retraités comme votre serviteur.
Dormant dans la même chambre, nous allons au restaurant du village. Le propriétaire est un personnage haut en couleur. Si la cuisine fut très moyenne, il nous faudra payer 15 euros au lieu des 12,50 euros annoncés. La propriétaire nous annonce de go que pour les pèlerins, c’est plus cher que pour les ouvriers. Il faut bien vivre et amasser pendant la saison n’est-ce-pas ? Drôle de pratique qui n’est pas du goût de notre Corrézien ! Serions-nous devenus des vaches à lait pour certains ? C’est ainsi que nous sympathisons.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.