Etape 35 – Viviers-les-montagnes – Dourgne (abbaye En Calcat) : 20 km (810 km)
Aujourd’hui, c’est une petite étape qui doit me mener dans un lieu de recueillement et d’introspection. Ma pensée du jour est issue d’un texte trouvé dans un ouvrage édité sur cette abbaye. Elle est signée Henri Guérin. « Pour moi, l’artiste est un mendiant, les mains vides, le cœur brûlant d’attente que la Providence lui fasse don d’une inspiration fragile comme le souffle. Lorsqu’elle paraît, il accueille avec étonnement l’inconnu sorti de lui. Sa vie intérieure prépare cette disponibilité d’accueil. Dans tout art, la poésie vient du recueillement d’une grâce. » J’ai cette même impression quand il me faut rédiger un texte, article, planche, conférence ou livre.
La sortie de Castres est agréable pendant les premiers mètres le long de l’Âgout. Il n’y a pas grand monde dans les rues car l’on est un dimanche, le 28 juin 2015. Je passe dans de nombreux petits villages sous un soleil qui est déjà très présent. Le plus représentatif est celui de Barginac qui propose aux cheminants et pèlerins un lieu de repos à l’ombre. Petit à petit, je m’approche de Viviers-les-Montagnes. Le chemin se perd au milieu des villas neuves. Le vieux village apparait enfin et j’assiste au passage d’un enterrement. Il est vrai qu’ici, on est en pays protestant.
Continuant mon chemin, j’apporte mon aide pour sortir la voiture d’un vieux monsieur tombée dans le fossé à la suite d’une mauvaise manœuvre. Une voiture la tire, nous sommes plusieurs à la pousser. Nous réussissons à le tirer d’embarras. C’est alors qu’apparait cette roulotte tirée par un cheval qui se rend dans un accueil fermier voisin.
Pas le temps de trop trainer car le soleil est particulièrement chaud. Après de nombreuses heures, j’arrive enfin en vue de Dourgne où siègent deux abbayes.
Celle des moniales porte le nom de la sœur de saint Benoit de Nursie, sainte Scholastique. Clin d’œil à mon épouse dont le nom de famille est justement Scholastique. Puis, celle des moines bénédictins où justement je me rends ce soir. Distantes l’une de l’autre de moins d’un kilomètre, elles furent construites à la même période grâce au don d’un habitant local qui devint le premier abbé d’En Calcat.
En arrivant à l’abbaye, je suis accueilli par un frère s’occupant de l’hôtellerie extérieure. Du fait de ma condition de pèlerin vers Compostelle (et d’homme), il me dirige vers le frère hôtelier de l’abbaye. Celui-ci m’affecte une vaste chambre dans l’hôtellerie intérieure. L’accueil d’un hôte, quel que soit son niveau de spiritualité, est l’un des critères universels de ce que l’on peut appeler l’humanité d’une civilisation.
C’est loin de tout ce que j’avais déjà vu dans une abbaye, simple mais confortable. J’ai pu travailler et écrire dans de bonnes conditions. J’ai assisté aux Vêpres où une trentaine de moines ont chanté des psaumes avec une grande sérénité et une grande justesse. C’était très beau. C’était très différent de ce que j’ai vu et vécu à Ganagobie. Il est vrai que l’église est beaucoup plus vaste et que le nombre de moines est plus important.
A 19h00 sonnant, j’ai pris le repas communautaire avec les moines et les retraitants venus se ressourcer en ce lieu. Ici, pas de lecture de texte mais en fond, une musique liturgique. Repas simple : soupe, plat de légumes gratinés, fromage, fruit, un peu de vin. A son issue, chacun rapporte assiette, verre et couverts au lavage et met ensuite la main à la pâte pour l’essuyage. J’avais l’impression de me retrouver hospitalier comme au Puy. Sauf qu’ici, tout se déroule dans le silence. L’un des retraitants a voulu me dire quelque chose, il a été remis en place par le frère hôtelier.
Le soir, je suis descendu à l’hôtellerie extérieure espérant pouvoir connecter mon PC au Wifi. Il ne fonctionnait pas. Ce fut l’occasion d’échanger avec une dame parisienne qui accompagnait un petit groupe de cinq personnes en reconstruction. Ils sont venus à En Calcat pour un petit temps de ressourcement. J’ai pu voir à leurs visages que c’étaient de grands blessés de la vie.
L’un d’eux m’a raconté son histoire et sa descente aux enfers. Pour s’éloigner de ses ennuis matériels et conjugaux, Pierre a cheminé plus de trois ans sur les chemins de Compostelle à l’image de ceux que j’appelle un « compagnon de la route ». Il a sombré dans l’alcoolisme, les larcins et la perte d’identité. L’association qui le soutient lui permet de se reconstruire, mais me dit-il, « c’est très dur de remonter la pente ».
J’ai été heureux de rencontrer cet homme qui m’a ému par sa simplicité, sa volonté de redevenir quelqu’un dans une société qui l’avait rejeté. Il sait qu’il a encore beaucoup de travail pour m’a-t-il dit, « redevenir un homme debout ». Dans le monde profane, notamment hors du chemin, je n’aurais peut-être pas fait attention à lui.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.