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Publié par Alain Lequien dit Bourguignon La Passion

petite chapelle vers San Esteban de Leces.

Il est six heures du matin quand je pars, le temps est humide et frais. Tout est fermé dans le village, et pas le moyen de prendre ne serait-ce qu’une boisson chaude. Bah ! Ce n’est pas grave, rien n’est jamais grave. Je me contenterais de fruits secs et d’une banane. Personne sur la route, cela me va très bien. Je me remets à penser à mes écrits d’hier. Peut-être aurais-je dû partir plus tard pour me laisser le temps de relire mon travail. C’est souvent ce que je fais d’ailleurs, relire le lendemain matin mes écrits de la nuit. Et souvent, je rature (virtuellement, j’ai un ordi) car je ne suis jamais satisfait de mon travail. Encore un truc d’auteur.

Cheminement dans la campagne.

Conliedo, Pernus… Petits villages et hameaux se succèdent rapidement par une petite route sinueuse au travers la campagne. A Pernus, je suis rejoint par quelques marcheurs. Il faut dire que le fléchage est ambigu. Nous échangeons pour savoir où se trouve le vrai chemin. Deux françaises d’un certain âge, peu avenantes, s’expriment de manière peu cordiale (vous n’avez qu’à suivre votre plan monsieur…) sans chercher à communiquer dans la sérénité. La journée commence mal. Dans la longue côte qui suit, je vais accélérer volontairement vers La Liera pour les distancer. Elles s’accrochent (cela ne leur a pas plu à l’évidence que je passe devant), mais je n’ai pas envie de partager leur randonnée. Et, j’ai du chemin à faire.

Vers Priesca.

Par sécurité, certains vont suivre la grande route. Nous les rejoindrons (ou pas s’ils ont marché plus vite) à Sebrayo. D’autres, comme votre serviteur, suivront gentiment le chemin tracé, certes plus long, mais plus dans l’esprit du Chemin. Je constate d’ailleurs depuis quelque temps qu’il y a de plus en plus de marcheurs qui utilisent des cartes routières pour rejoindre au plus vite la ville ou le village suivant par la voie la plus courte. Autres mœurs !

Point d'accueil alimentaire.

Je découvre enfin un endroit où je peux prendre un café et manger un morceau. C’est le propriétaire d’une grande maison située sur le Chemin qui a aménagé un endroit d’accueil sous un porche. Une machine à café y trône ainsi qu’un distributeur de nourritures. Je vais prendre une salade russe (ben oui) et boire un café. La fréquentation semble importante comme le prouve les nombreux noms écrits à la craie sur des tableaux. Il faut dire qu’il n’y a rien autour.

Un musicien de Villaviciosa - timide.

A Priesca, je ne peux pas visiter l’église San Salvador datant du Xe siècle. C’est un peu dommage car il y avait de belles fresques dit-on. Du fait de la fermeture fréquente des églises, on passe souvent hélas à côté de beaux trésors. Au bout de onze kilomètres depuis mon départ matinal, j’arrive à Sebrayo, un village de 400 habitants. Il y a bien une albergue, mais elle est trop proche du début de mon étape. Elle est d’ailleurs fermée. J’apprendrais par Vincent, que je vais rencontrer plus loin, qu’elle est minuscule et qu’il était difficile dans le village de s’approvisionner. Il semblait qu’il y en avait une seconde que je n’ai pas vue.

L'église de Villaviciosa.

Le chemin suit maintenant l’autoroute A8. Quelques petites montées et descentes qui m’amènent à La Regata et surtout à Villaviciosa. C’est une ville de 6 000 habitants, très commerçante qui m’accueille. J’y bois de nouveau un café allongé bien chaud (le fameux café américano), et la tortilla qui vous tient bien au corps. Il faut croire que l’histoire se répète. Quasiment au même endroit qu’en 2013, je rencontre un musicien qui fait la manche. Ce n’est pas le même. Je fais ce que j’ai à faire dans ces cas-là.

Je voulais visiter l’église romane Santa Maria de la Olivia, mais sa porte est close. Dommage, extérieurement, je la trouvais belle et les guides en disent du bien. Je double un groupe de six français avec lesquels je tente de lier connaissance. Très vite, je m’aperçois qu’ils n’ont pas envie de causer. Je les laisse à leur indifférence. Mon malheur, si l’on peut dire cela, c’est que je vais les retrouver à la fin de l’étape…

Izquierda - la séparation des Caminos.

Continuant mon chemin, j’arrive à l’intersection des deux chemins à Casquita. Il y a celui qui va à Gijon en suivant la côte. C’est celui pris par Hélène et André, mes compagnons bruxellois. Il y a l’autre, plus exigeant physiquement, qui se dirige vers Oviedo et qui va marquer le début du Camino Primitivo dans la capitale asturienne. Cet itinéraire oblique au sud-ouest, à l’intérieur des terres et nous fait traverser les montagnes. Le Chemin du Nord ou de la Côte prend alors le nom de Primitivo. La maison située à cette intersection est certainement l’une des photos les plus prises sur le Chemin de Compostelle. J’assiste d’ailleurs à la séparation d’un couple de marcheurs. Madame continue vers Gijon, Monsieur vers Oviedo. Moment touchant où chacun suit, pour un temps peut-être, un chemin différent. Quand je vous dis que le Chemin, c’est aussi beaucoup de partage d’émotions…

Le petit chien noir en 2013. Qu'est-il devenu ?

Tournant donc à gauche, je prends la direction du monastère de Valdedios où je veux m’arrêter cet après-midi. J’y suis passé il y a deux ans, et ce fut pour moi un grand moment. Je vous conte l’histoire. Alors que je prenais mon repas au café situé près du monastère, un petit chien noir abandonné était venu me lécher les pieds. Le lendemain matin, il m’attendait à la sortie du monastère et nous fîmes de concert une dizaine de kilomètres ensemble. Moments émouvants ! Aujourd’hui, sur une borne jacquaire, ce n’est qu’un chat qui se prélasse au soleil.

Un petit chat sur une borne jacquaire.

Après la Parra, à l’intersection de deux routes, j’aperçois deux personnes attablées sous un arbre. Je décide de m’arrêter pour manger un petit morceau et lier contact. Ce sont deux Français. Le lien se fait rapidement. Au cours de la conversation, j’apprends par Vincent qu’il est travailleur social et qu’il accompagne une jeune fille en difficulté de la région de Lourdes sur le Chemin. C’est un projet qui lui a été proposé pour éviter d’être dans un centre d’accueil. La jeune fille a le visage fermé, ce qui tend à prouver qu’il y a du conflit dans l’air. Vincent m’explique son travail que je connais en partie travaillant encore dans le milieu judiciaire.

Abbatiale Valdedios.

Nous allons marcher de concert jusqu’au monastère où peut-être ils s’arrêteront. En fait, ils continueront leur chemin. La jeune fille se libère un peu et me pose beaucoup de questions. Elle ne comprend pas pourquoi je suis parti sur la route volontairement. Elle considère que ce trajet qu’elle effectue jusqu’au Portugal est une punition. Je pense alors à ce qui disait Claude Tresmontant : « Ce qui est mauvais, ce n’est pas d’être chenille, c’est de refuser la transformation par laquelle la chenille devient papillon. »

Entrée abbatiale.

Après Congares, c’est l’arrivée au monastère cistercien Santa María la Real de Valdediós, le val de Dieu. Situé dans un vallon boisé et retiré, on ne le voit qu'en arrivant. Nous nous séparons. Etant le premier pèlerin arrivé, l’hospitalière qui assure aussi les visites des deux églises, me confie la clé de l’albergue se trouvant dans une des ailes du monastère. Il n’y a plus en effet de moines depuis peu. Je m’y installe. Au bout de deux heures, je vois arriver les six Français croisés à Villaviciosa. J’essaie en vain de renouer la communication avec eux en les invitant à entrer. En vain. Ils ont décidé de rester entre eux. Drôle de conception d’un pèlerinage. Finalement, au bout d’une heure, il se décide à s’installer.

Valdedios - cloitre monastere.

Peu à peu, le gite se remplit. Je fais la connaissance de deux cyclistes, Romuald et sa cousine espagnole. Ce fut un vrai moment de partage avec deux jeunes personnes à l’esprit ouvert et sympathiques. Je me suis senti en phase avec eux car ce sont deux belles personnes au sens moralité du terme. Dommage que nos moyens de locomotion différents ne nous aient pas permis de développer ce qui semblait poindre comme une relation forte.

Entrée abbatiale.

Il n’en est pas de même avec le groupe de Français. Le soir, je décide de prendre le repas du jour au café situé en face. Du fait de l’éloignement de tout village, celui-ci ne survit que par la fréquentation des pèlerins et des touristes venus visiter le monastère et son église. L’un des Français s’avança pour venir voir ce que j’avais dans l’assiette. Il me demanda mon avis qui était favorable, vous vous en doutez. Puis, ils ont commandé leurs propres repas en demandant des modifications sur le menu face à un patron ne semblant pas parler le français. Alors que celui-ci s’éloignait, l’un des hommes fit cette réflexion : « Il est idiot ce mec, il ne comprend rien ». J’étais gêné, c’est le moins que l’on puisse dire, par le comportement de mes compatriotes. Au cours du repas, ils l’ont interpellé à plusieurs reprises pour ceci, pour cela. Bref, des pinioufs…

Valdedios - porte sculptée abbatiale.

J’étais sûr que le patron avait entendu leur réflexion idiote. Lorsque j’ai réglé mon écot, je me suis excusé de leurs réflexions avec quelques mots d’anglais. Il m’a regardé en souriant, a fait un mouvement de tête et une mimique qui en disait long sur notre complicité. J'ai vu qu'il n'avait pas compté ma bière qui était en sus du repas, il m’a fait un signe de la main qu’il ne me la faisait pas payer. Cela m’a gêné bien sûr, mais il faut savoir accepter le don de l’autre. Nous nous sommes quittés en nous serrant la main sous le regard étonné des pignoufs…

A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.

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