Etape 76 – Campiello : 12 km (1911 km)
J’ai dormi seul dans ce petit box fort de quatre lits, Laurent à son arrivée ayant été placé dans une autre salle. Autant dire que j’ai passé une bonne nuit comme c’est le cas dans une chambre isolée. Mon état fiévreux est dépassé, il est vrai que la séance sauna/bain turc y est certainement pour quelque chose. Vous pensez peut-être que j’ai cédé au luxe ? Non, certainement pas mes amis. J’ai tout simplement dépensé dix euros… C’est toujours aussi incroyable !
Je ne pense pas être un pèlerin-bobo. Ah oui, peut-être ne vous ai-je pas dit ce que sont pour moi ces pèlerins-bobos ? C’est le nom que j’ai donné à ces voyageurs souvent en voiture qui, s’arrêtant non loin d’un café et prenant dans leur coffre un sac à dos, marchent vers un café pour se faire tamponner leur crédentiale. Puis, sans vergogne, ils remontent en voiture pour continuer leur chemin. Ils sont heureusement rares, mais ces tricheurs existent. Ils pourront briller dans leur « diner de cons ». Un jour, un de ces couples m’avait invité à Vincennes. Je n’ai pas donné suite ayant égaré volontairement leur nom, adresse et numéro de téléphone. C’était mon coup de gueule de la journée.
Donc, je disais, sans être pèlerin-bobo, il faut savoir s’arrêter dans ce genre de lieu de temps à autre, le cheminement n’étant pas une punition.
A notre départ, la longueur de l’étape n’est pas vraiment déterminée. Le premier choix est d’aller à Pola de Allende située à 32 km. Je connais ce chemin pour l’avoir parcouru il y a deux ans. En 2013, ce fut à la croisée de ce chemin avec la variante des Hospitales que Mathieu et moi nous nous étions séparés chacun partant de son côté.
Le second choix est de prendre justement cette variante. Toutefois, il est quasi-impossible de la parcourir entièrement sans de gros efforts pour rejoindre Berducedo en une seule étape. Il faut parcourir 42 km dont la majeure partie en montagne. Ce serait insensé de parcourir ce marathon après 75 jours de marche. Je ne suis pas un surhomme et risquerai, si je le tentais, de le payer ensuite difficilement.
La solution est donc de parcourir aujourd’hui une étape courte nous amenant près du départ de cette variante. La solution idéale est de s’arrêter à Borres (19 km). Quant à Laurent, doutant à tort selon moi de ses capacités sportives, il hésite à gravir le chemin des Hospitales considéré par beaucoup de pèlerins et cheminants connaissant la région comme difficile.
Quand nous prenons notre petit déjeuner copieux, la décision n’est pas prise et peut-être qu’en cours de route, chacun poursuivra un chemin différent. Nous sommes servis toujours par le même serveur qu’hier. Nous faisons cette remarque bien française habitué aux horaires qu’il doit faire de sacrées journées malgré qu’il ne soit plus tout jeune.
A la sortie de la cité, nous gravissons une longue montée alors que le brouillard épais est bien présent. Le temps est frais et humide. Sur les hauteurs, nous passons près d’une fontaine où se trouve un petit ermitage qu’il est difficile de prendre en photo. Nous nous dirigeons ensuite vers les chaines montagneuses de l’ouest des Asturies. Le calme et la solitude du Chemin nous invitent à interrompre notre marche de temps en temps pour se donner le temps d’observer ce qui nous entoure ou tout simplement, pour reprendre son souffle. Au bout de sept kilomètres, progressivement, nous arrivons au col (alto) de Piedratecha situé à plus de mille mètres d’altitude.
Nous entamons ensuite la descente par un chemin caillouteux vers Obona (eaux bonnes).
Nous ne faisons pas le détour vers le monastère en ruine de Santa María la Real de Obona datant des XIIe et XIIIe siècles qui se niche dans un vallon, site que j’ai déjà visité en 2013. La légende veut qu’il ait été fondé en 780 par Adelgaster, le fils du roi Silo. Par contre, son existence au Xe siècle n’est pas contestée. Il fut un centre bénédictin important lorsque le roi Alphonse IX fit modifier le Chemin pour lui permettre d’’accueillir les pèlerins. A côté du cloître inachevé, son église cistercienne en mauvais état est en partie noyée au milieu des herbes et du lierre. C’est un lieu solitaire comme je les aime, entouré de grands arbres permettant de méditer, réfléchir et bien sûr, d’écrire ces réflexions qui vous traversent par la tête. Pour être bref, un lieu de quiétude au milieu de nulle part.
La piste forestière continue à travers les bois et nous permet d’arriver à Berrugoso puis à Campiello. Dans ce tout petit village, les cafés sont déjà pleins par de nombreux pèlerins qui y font halte pour s’y reposer et s’alimenter. Quand je compare à deux années d’écart, je suis toujours aussi étonné de celle nouvelle embolie sur ce chemin primitif. Il y a facilement quatre à cinq fois plus de marcheurs. Nous décidons de faire de même. Nous entendons de nombreux pèlerins indiquer qu’ils vont s’arrêter à Borres. Connaissant les lieux pour y être passé, je sais que le nombre de pèlerins accueillis est limité.
Pas question de courir pour avoir une place. D’autant que Laurent est maintenant décidé à passer par la variante des Hospitales. Il est donc plus raisonnable de l’aborder reposé avant le dur cheminement de demain. Nous faisons donc halte à Campelio après avoir parcouru seulement 12 km. Nous avons la chance d’avoir une chambre à deux à la Casa Ricardo qui vient d’ouvrir pour un tarif très très raisonnable. Nous allons y rencontrer des Grecs, des Italiens, des Espagnols, des Français…
Alors que nous nous promenions dans le village (une trentaine de maisons), nous passons près de l’albergue Herminia, la plus ancienne. Elle est réputée notamment depuis le passage de Jean-Christophe Rufin. L’auteur y parle de sa propriétaire de façon peu sympathique dans son ouvrage « Immortelle randonnée ». J’aime cet auteur croisé au Salon du livre de Dijon, alors que j’avais quelques responsabilités à la Société des auteurs de Bourgogne. Une autre vie… Et pourtant, je ne partage que partiellement son vécu sur le Chemin primitif.
Là, Laurent me présente un Français rencontré au cours du Chemin, puis un autre, un autre... Nous nous retrouvons à cinq qui vont former la « French Team » pour plusieurs jours. Il y aura Laurent, Joao dit Jean, Jean-Charles, Damien et Alain Marc, votre serviteur.
Lorsque Damien dit avoir rencontré près de San Sébastian un « vieil homme barbu » parti de Genève, je ne peux qu’avoir un regard rieur. D’un seul coup, il prend conscience que le vieil homme dont il parle était… devant lui car j’avais rasé ma barbe. Cela déclencha un grand fou rire ! Le soir, nous fumes plus d’une trentaine à partager le repas à la Casa Hermina.
Et puis, cette belle rencontre avec Laurent de cette joueuse du Football Club Féminin de Juvisy. Quelle force de caractère et quelle forme.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.