Etape 84a (2015) – Lavacolla - Monte del Gozo – Santiago : 20 km (2114 km)
Le voyage est un retour vers l’essentiel. (Poème tibétain).
Nous sommes le 18 août 2015. Après avoir pris quelques provisions de bouche, nous quittons, Jean-Charles et moi, le gite de Pedrouzo alors qu’il fait encore nuit pour cette ultime étape avant Santiago. Il nous reste une vingtaine de kilomètres à parcourir, et l’idéal est d’être arrivé pour la messe des pèlerins. Après une petite attente d’amis rencontrés la veille, nous prenons la route en espérant trouver un café ouvert pour boire un bon café bien chaud.
A la sortie de la petite cité, nous le trouvons et sommes attirés par une petite affiche qui nous rappelle que le cheminement, ce n’est pas avoir les yeux plantés sur son smartphone ou sa tablette. Traduction : pas de connexion wi-fi (parler entre vous). Ah, ces addictions…
Le nombre de pèlerins est important car Pedruzo est certes l’une des dernières villes-étapes du Chemin des Francs mais la cité abrite plusieurs albergues. Le chemin continue avec des montées et des descentes, tout en restant dans des proportions largement supportables. Cette première section descend doucement vers San Anton, Amenal.
À partir de là, le Chemin monte en pente prononcée à travers un parc industriel construit à l’emplacement d’un ancien bois d’eucalyptus jusqu'à l’Alto de Barreira. Ce fut l’occasion pour moi de rencontrer une dame danoise de 90 ans partie depuis un bon mois. Marchant bien, en pleine forme, nous allons cheminer plusieurs kilomètres ensemble alors que mes amis sont partis en avant. Elle parle très bien le français ce qui facilite la communication.
Elle m’apprend qu’elle a perdu depuis peu son ami qui cheminait avec elle et que justement, elle faisait une dernière fois ce chemin en sa mémoire. Très émouvant ce partage entre nous, alors qu’il n’y avait pas une heure, nous ne nous connaissions pas.
En arrivant à la cime, nous contournons sur un sentier l’aéroport de Saint-Jacques-de-Compostelle situé à Lavacolla. Sur le grillage de l’aéroport, on peut apercevoir les tee-shirts abandonnés par les pèlerins. Ce n’est pas le bon endroit, mes amis, mais à Fistera, le bout de la Terre qu’il faut le faire. Hélas, peu nombreux seront ceux qui feront les cent kilomètres nécessaires pour aller à cet endroit mythique.
Un peu plus loin, on peut croiser cette borne sculptée. Elle représente pour le pèlerin le symbole que la fin du pèlerinage est proche. Nombreux ceux qui se font prendre en photo devant, individuellement ou en groupe, afin de conserver un souvenir intense du moment. Santiago se rapproche, nous en sommes à une dizaine de kilomètres.
On traduit Lavacolla par « laver le cou ». Autrefois, la cité portait le nom de Lavamentula, mentula désignant les parties basses du corps. La tradition voudrait qu’à cet endroit nous devrions nous arrêter comme le faisait les pèlerins médiévaux. C’était l’occasion pour eux de mettre en ordre leurs affaires, et de faire beau avant de pénétrer dans la cité de « Monsieur Saint Jacques ». Cette toilette se déroulait dans la rivière du même nom.
La route, c’est aussi la rencontre de gens étonnants comme ce chanteur-guitariste jouant des morceaux des années ’70 (du siècle dernier !) pour récolter quelques pièces lui permettant de continuer son cheminement. Certains passent sans s’arrêter, jetant juste un regard de peur de je ne sais quoi. Ce n’est pas notre cas à Jean-Charles et moi-même. Un peu fou, mais c’est ma nature diront certains, je me mets à danser tout en portant mon sac quitte à être ridicule. En fait, depuis peu, je me fiche des « qu’en dira-t-on ». Ils sont le fait de gens coincés et comme on dit chez moi, de « pisses-froids ».
Plus loin, c’est le moment de la pause sur un banc pour manger un morceau. L’endroit est fréquenté par une dizaine de chats abandonnés qui viennent quérir un peu de nourriture. Nous les observons. Ils y a les dominants qui n’hésitent pas à donner des coups de pattes et ceux qui attendent sagement, je devrais dire peureusement, que les premiers aient assez mangé. Etonnante cette hiérarchie que l’on retrouve parfois chez les humains.
Au pied du Monte do Gozo, se trouvait l'ermitage Saint-Lazare. On y vénérait la dépouille d'un pèlerin franc mort à San Miguel de Pie de Puerto et abandonné par ses camarades. Selon la légende, il fut miraculeusement transporté là à cheval par St-Jacques en personne.
Nous arrivons enfin à Monte Monxoi ou Monte do Gozo (la colline de la joie) connu depuis le Moyen Âge. On pourrait la traduire aussi par Montjoie, le cri poussé par les pèlerins francophones apercevant de loin l’un des sanctuaires du chemin comme Vézelay, le Puy… en France.
Autrefois, les pèlerins le gravissaient en courant. Celui qui parvenait le premier au sommet y plantait une croix et faisait retentir le cri joyeux de « Santiago » ; il était alors proclamé « roi du pèlerinage ». ce serait l'origine de certains noms français tels que Leroi, Roy... sic !
De ce lieu, nombreux étaient les pèlerins qui, de ce belvédère couronné d'une chapelle Saint Marc et de trois croix de bois, venaient découvrir cette cité qu'Aymeri Picaud appela « la ville la plus heureuse et la meilleure de toutes les villes d'Espagne » (photo communiquée).
Depuis la visite du pape Jean-Paul II en 1989, pour la journée mondiale de la jeunesse, un monument grandiose occupe cet endroit. Il est surmonté d’une sculpture. Sa base dépeint la visite du pape mais également le pèlerinage de Saint-François d’Assise au début du XIIIe siècle.
A l’occasion du Xacobeo 93, c’est-à-dire en 1993, tout a changé avec la construction d’un énorme complexe permettant d’accueillir de nombreux pèlerins. C’est l’auberge la plus grande de la Galice. Que signifie Xacobeo ? Ce mot (Ano Santo Xacobeo, en galicien) désigne l’année sainte jubilaire qui a lieu chaque fois que la fête de saint Jacques, le 25 juillet, tombe un dimanche. Cela se produit en moyenne quatre fois tous les vingt-huit ans. La dernière fois, c’était en 2010, la prochaine fois en 2021.
Nous sommes à moins de cinq kilomètres de la cathédrale. Nous quittons Monte do Gozo par une grande descente avant de traverser l’extension de la cité jacquaire. L’occasion de faire une photo au pied de la statue d’un preux chevalier. Ensuite, c’est une zone bien urbanisée avec cafés, hôtels, albergues, mais aussi des chapelles, églises, musée… Mais, nous sommes pressés d’arriver et donc, nous ne trainons pas en chemin.
A la Puerta del Camino, je n’ai pas pensé à voir ce calvaire du saint homme datant du XIVe siècle, historié selon les guides de treize scènes sculptées dans la pierre. Une autre fois peut-être… On oublie toujours quelque chose. C’est la montée au milieu de la multitude, mélange de pèlerins et de touristes, et nous arrivons à la Praza de Immacula.
Intérieurement, j’espère entendre l’homme à la cornemuse en passant sous le porche. Cela ne manque pas, il est là. Cette musique à cet endroit déclenche toujours en moi beaucoup d’émotions. C’est maintenant l’arrivée à la Praza do Obradoiro devant la cathédrale. Celle-ci est en travaux. Il y a beaucoup de monde. Il est trop tard pour aller à la messe des pèlerins, nous irons à l’office du soir.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.