Étape 84e (2015) – A Fatima
« L’action est le début de l’engagement. » Anonyme.
Autour de la chapelle, d’autres pèlerins tournent à genoux. Mon comportement de touriste est celui de prendre des photos pour en garder le souvenir. Je m’en éloigne pour me rendre vers les feux où brûlent les cierges achetés par les pèlerins. C’est une manière de repérer les lieux où je viendrais tout à l’heure avec Aurelio et son épouse pour brûler l’enveloppe remise par Ana-Maria. « Point besoin de photo, me dis-je. Tout est dans le cœur. J’aime d’ailleurs cette formule exprimée lorsque nous perdons quelqu'un : « C’est dans le cœur des vivants que réside le tombeau des disparus ».
De retour devant la chapelle, un couple m’aborde. Il s’agit d’Aurelio et de son épouse. Nous nous embrassons comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Ils me demandent des nouvelles de ma santé, si je ne suis pas trop fatigué par mon voyage entamé quelques mois plus tôt. Ils voudraient marcher vers Compostelle.
En souriant, lorsque je leur propose de m’accompagner, la réponse est classique : « On n’est trop occupés ». Je me dis prêt à effectuer le tour de la chapelle à genoux. Ils me montrent alors les coussinets que je porterai aux genoux, ceux que son épouse a déjà utilisés. Cela à l’air confortable.
Nous nous rendons sur l’arrière où une grande porte de verre est gardée par un vigile. Celui-ci nous refuse l’entrée car nous n’avons pas d’autorisation. Un homme, qui semble être un religieux, intervient. Aurelio en portugais, lui conte certainement la raison de ma présence et le fait que je marche depuis trois mois. Cela semble le bousculer.
S’adressant à moi en français, il me demande si je suis là pour un acte de foi. Je lui réponds que pérégriner est un acte de foi renforcé par la promesse faite à une dame âgée. Cette réponse semble le satisfaire et il nous donne l’autorisation d’entrer après avoir retiré nos chaussures.
Me voilà pénétrant derrière la chapelle pour réaliser mes trois tours, trois un chiffre qui parle à mon cœur. L’épouse d’Aurelio reste dehors tenant nos chaussures. Aurelio me place des coussinets autour des genoux qu’il maintient avec de la cordelette fine. Puis nous partons, moi à genoux, Aurelio debout me tenant la main gauche, moi m’appuyant de temps à autre avec la main droite sur le muret.
Au départ, tout fut aisé, mais peu à peu, les contractures firent leur apparition m’obligeant à faire des arrêts. Je fus gêné par ces touristes prenant des photos comme je l’ai fait tout à l’heure. Comme quoi… Peu à peu, en me concentrant sur le glissement des genoux protégés sur la pierre, j’oublie ce qui se passe autour de moi. La main amicale qui m’aide à avancer y est pour quelque chose.
A la fin du premier tour, déjà fatigué, je pense fortement qu’il serait plus raisonnable de stopper là. J’ai rempli mon engagement. Mais, têtu comme je le suis, je confirme à Aurelio ma volonté de continuer en faisant une pause. Voulant me relever, Aurélio me le déconseille arguant que cela sera plus dur de reprendre.
Mes second et troisième tours furent difficiles. Concentré sur l’acte en cours de réalisation, je n’avais plus trop conscience de ce qui se passait autour de moi. J’avançais lentement, effectuant de nombreuses pauses. Lors des arrêts, je ressentais des douleurs musculaires dues, je pense, à l’anormalité du déplacement. Le temps passa finalement assez vite. Il ne s’était pas déroulé une demi-heure. Pour quelle distance ? Deux cents mètres peut-être…
J’eus quelque mal à me relever, aidé par Aurelio et son épouse. Je ressentais des douleurs non au niveau des genoux mais surtout aux muscles des jambes et des pieds. Et puis, cette première impression que mes jambes s’échappaient sous moi. En marchant lentement, soutenu par Aurelio, tout est revenu presque normalement. J’étais heureux, je l’avais fait… C’est alors que j’ai pensé à toutes ces femmes, à tous ces hommes qui parcourent dans cette position une distance beaucoup plus longue. Quel courage ! Je ne les verrais plus de la même manière.
Revenant sur ma petite personne, je me suis dit au fond de moi-même que j’avais fait une folie qui allait m’handicaper pour la suite de mon cheminement. Mais cette idée s’évapora rapidement, remplacé par un grand calme intérieur. Plus tard, en pensant à cet acte, j’ai pris une plus grande distance avec ce qui m’entourait.
C’est maintenant l’heure d’aller brûler l’enveloppe d’Anna-Maria. Je ne sais pas ce qu’elle contient, et d’ailleurs, cela est sans importance. C’est peut-être le fruit d’une ancienne croyance ? Nous nous dirigeons vers le grand four et je la jette aux flammes. Rapidement, elle devient cendres. Tout est fini.
Habitué à fréquenter Fatima, Aurelio et son épouse souhaitent rentrer chez eux le soir même. Nous buvons le verre de l’amitié, et nous nous quittons avec émotion. Aurelio va informer sa sœur que j’ai réalisé sa demande. Pour info, puisque j’écris tardivement le déroulé de cette journée dont j’avais pris des notes le soir même pour ne pas en perdre l’émotion, j’ai revu Ana-Maria dont l’âge approche les 90 ans. Elle va bien et a toujours la larme à l’œil quand je la revoie. Pour elle, je suis comme son petit frère. Moi qui est perdu le mien tragiquement… Le cycle de la vie…
Procession à Fatima - Sur l'esplanade de la basilique (2015).
Je reviens lentement au gite pour prendre le repas amené par le gardien, dans le réfectoire. Puis, après un peu de repos, je retourne au sanctuaire où doit se dérouler les récitations du rosaire en plusieurs langues. Après les chants, une procession aux flambeaux se forme à la suite d’une grande croix éclairée devant la basilique. Peu à peu, sur cinq mètres de large, la foule, plusieurs milliers de personnes, forment un grand cercle de plusieurs centaines de mètres de long sur deux à trois mètres de large. Les chants reprennent et nous marchons côte à côte. Certains portent des bougies allumées en scandant le nom de la Vierge. Même si je ne suis pas théiste au sens de croire à un dieu révélé, je suis déiste, c’est-à-dire ayant la foi de croire à quelque chose de supérieur à l’homme, comme s’il existait un grand architecte.
Procession à Fatima - retour à la chapelle des Apparitions. (2015).
Fatigué, je quitte la procession pour retourner à mon gite. Rapidement, les bras de Morphée m’accueillent. Dure journée. Mais belle par l’émotion.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.