L'albergue municipale donnant sur une place animée, il y eut beaucoup de bruit jusqu'à minuit. À l'espagnole, il faut le dire c'est à dire en s'exprimant fortement. Et les femmes ne sont pas de reste. Il faut s'y habituer car cela fait partie de leur caractère, et même d'une certaine façon, de leur charme. Mes compatriotes ont décidé de prendre un taxi pour sauter cette étape, du moins en grande partie. Me voilà seul à prendre le départ, vers 6h30, pour cette longue distance très valonnee de 33 kilomètres.
Au loin, j'aperçois dans l'aube naissante, la silhouette de l'un des Espagnols qui marche à grands pas sur ce large chemin de terre qui monte assez rapidement. Pas question de le suivre, je garde mon pas de sénateur régulier à cinq kilomètres par heure. Peu à peu, le chemin se rétréci au milieu de champs et d'arbustes. Le paysage me fait penser à l'Irlande : gros blocs de pierre disséminés, murs de pierre à mi-hauteur pour délimiter les landes, bref on est presque en pays gaélique. Et cela va durer sur une longue distance. J'ai eu la seule visite d'un cycliste qui avait beaucoup de mal à rouler sur cette piste devenue sente rocheuse.
De nouveau, le chemin s'est élargi et j'ai été obligé de suivre la déviation mise en place pour raisons de travaux. Je vais maintenant suivre une sente herbeuse qui surplombe la route nationale non sans m'être arrêté à un abri fort bien placé pour me restaurer. Cela fait partie non seulement d'un rituel, mais d'une nécessité pour se maintenir en bonne forme physique. Cela sera banane pain, plus orange et bien sûr de l'eau. Très important l'eau sous cette canicule.
Il me faut rejoindre la route que je vais parcourir pendant plusieurs kilomètres. Pas très aguichant si ce n'est la vision de cette grande retenue d'eau. Ah, si je pouvais aller me baigner... Mais, le temps court et j'arrive à cette magnifique auberge décrite aux alentours du vingtième kilomètre qui nous a été annoncée hélas fermée.
Il faut entreprendre d'aller jusqu'à Canaveral, non pas le Cap, mais un village à onze kilomètres de là. Deux possibilités : par la route ou au travers de la montagne. Et Lequien choisit bien sur la seconde solution. Nouvelle petite halte dans un abri fort à propos, avant de pour suivre sur des chemins plus ou moins rocailleux. J'ai souffert car quasiment pas d'ombre, mais c'est le prix à payer de ses choix.
Personne ne m'a obligé à être là sinon la volonté de me surpasser et de me remettre en cause en permanence. Certains de mes amis ne me comprennent pas, mais je suis habitué depuis l'enfance à cette situation. J'ai toujours été différent, refusant d'être mis dans une case de bon soldat. Cela aurait pu me rendre asocial, ce n'est pas le cas. Je veux simplement être libre. Et, je le sais, être différent agace, entraine des inimitiés mais cela m'importe peu. Chacun son chemin de vie.
Ce qui compte à mes yeux, ce sont les actes et non les paroles, ce sont les idées fondatrices et non les beaux discours bien léchés. Bref, être une individualité responsable et agissante pour le bien de tous. Au cours de cette dizaine de kilomètres, et oui mes amis, j'ai décidé en quelque sorte de donner un coup de pied dans la fourmilière de ceux qui se disent ou pretendent être mes amis ou mes frères. Il est temps de faire un nouveau tri et de m'eloigner de cette atmosphère pesante de ces derniers mois.
Me voilà arrivé à bon port, très fatigué mais heureux de ma réflexion. Attendons de décanter les choses dans les prochains jours.
À suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.
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