Étape 10 : À la Sainte-Baume, le Roc de la Miséricorde : 12 km (227 km)
Excellente nuit passée chez Paola et Gilbert qui m’ont accueilli avec générosité. Le ventre bien rempli, nous partons de bonne heure en direction de la Sainte-Baume afin d’assister à l’office dominical dans la grotte. Temps généreux, ni trop chaud, ni trop frais.
Arrivé sur le parking devant l'hostellerie, nous entamons la montée de la Sainte-Baume, baumo signifiant grotte en provençal. Elle est située dans une barre rocheuse s’allongeant sur douze kilomètres qui est reconnue depuis le néolithique comme un lieu de spiritualité. Chateaubriand lui rendit hommage ainsi : « C'est ici la sainte montagne ; le sommet élevé d'où l'on entend les derniers bruits de la terre et les premiers concerts du ciel. »
En ce qui me concerne, c’est un retour dans ce lieu magique au bout d’une dizaine d’années. J’y étais venu avec des compagnons alors que le site était encore clos à cause d’éboulements. Nous avons pu accéder toutefois à la grotte malgré la fermeture. Chut… C'est un lieu prédestiné, car la grotte du sanctuaire accueillit deux êtres légendaires. D’une part, Maître Jacques, une figure mythique du compagnonnage avec Soubise, deux compagnons d’Hiram lors de la construction du Temple de Salomon à Jérusalem. D’autre part Marie-Madeleine arrivée presque dix siècles plus tard aux Saintes-Maries-de-la-Mer en provenance de la Palestine (voir l’étape précédente). Elle y aurait vécu comme ermite durant environ une trentaine d’années avant d’être enterrée à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume.
Le massif est recouvert de forêts et possède de nombreuses grottes. Certaines abritèrent, vers le XVIIe siècle, de vastes puits de dix à vingt mètres de profondeur creusés dans le roc pour conserver de la glace pour les villes de la Côte comme Marseille ou Toulon.
Tout commence par la montée dans la forêt qui peu à peu nous rapproche de la grotte en suivant le chemin du Canapé. Nous y rencontrons l’obélisque compagnonnique posé à la fête des Rameaux 2001. Il fut réalisé par Rodolphe Giuglardo dit Languedoc Cœur Sincère, Compagnon du Tour de France des Devoirs unis, meilleur ouvrier de France en création de caractères typographiques en 1997 qui habita un temps au pied de la Sainte Baume (www.legraveurdepierre.com/). Son travail de réception haut d’un mètre quatre-vingt est une véritable pierre levée et taillée. Sur les quatre faces du sommet, on peut lire ce texte particulièrement parlant à notre réflexion :
« Du métier à l'esprit, du visible à l'invisible, nous ouvrons à la lente progression vers le chef-d'œuvre intérieur. - Bien heureux celui qui au détour d'un chemin recevra la sublime image envolée d'un autre univers. Il pourra dire qu'il a vu ... - Le début et la fin. La totalité de la connaissance. La totalité de l'être. La totalité de l'espace et du temps. »
Cette réalisation, avec celle des vitraux de la grotte, manifeste la mémoire et la présence compagnonnique en ce lieu. Depuis la réalisation des derniers oratoires et du portail François 1er en 1516, aucune pierre n'avait été posée sur ce haut-lieu symbolique.
Continuant notre cheminement, nous rejoignons le Chemin des Rois ainsi nommé, car c’était l’itinéraire emprunté par les pèlerins et de nombreux monarques (Saint-Louis, Philippe VI, François Ier, Charles IX, Louis XIV…) sans oublier des saints et des papes. Nous passons devant les oratoires (il y en avait sept à l’origine) avant de gravir les cent cinquante marches (les cent cinquante Ave Maria du Rosaire) permettant d’accéder au sanctuaire pouvant accueillir quelques centaines de personnes.
La grotte est orientée nord-ouest, le soleil n'y pénétrant qu'avec parcimonie. Fort humide, l'eau y dégoutte constamment, sauf au-dessus d'un petit tertre. Ce dernier, dénommé le Rocher de la pénitence, serait l’endroit où Marie Madeleine aurait établi sa couche et son lieu de vie. Les pèlerins, en récupérant de petits morceaux de ce qu’ils appelaient « des plumes du duvet de la Madeleine », provoquèrent des dégradations entrainant la fermeture de son accès par des grilles. De nos jours, une statue de la sainte y trône.
Pénétrant à l’intérieur de la grotte sombre, on peut apprécier les sept vitraux réalisés de 1977 à 1983 par Pierre Petit dit Tourangeau le Disciple de la Lumière, compagnon vitrier. Ils sont éclatants de couleurs rayonnantes. Pour les Compagnons, les couleurs ont un contenu symbolique important.
Nous avons la chance d’assister à la messe dominicale dans une grotte remplie de jeunes venus de Marseille et autres lieux en préparation de leur confirmation. Les officiants sont des frères dominicains et des prêtres accompagnant les groupes. On retrouve les frères de l’Ordre des Prêcheurs gardiens de son tombeau à Saint-Maximin. Un moment émouvant qui dépasse largement son attachement plus ou moins fort à la religion catholique. Le Révèrent Père Lacordaire avait cette définition : « Les lieux saints sont au monde ce que les astres sont au firmament, une source de lumière, de chaleur et de vie. »
A la grotte du sanctuaire de la Sainte-Baume.
À la sortie, nous accompagnons à la sacristie le frère officiant dominicain pour faire apposer sur ma crédentiale le tampon compagnonnique. On ne se refait pas.
Il est temps de reprendre notre cheminement par le chemin de grande randonnée 9 pour rejoindre la chapelle du Saint Pilon perchée au bord de la falaise. Elle surplombe quasiment le sanctuaire. Nous rencontrons en route un groupe de Compagnons qui effectuent une marche. Petite discussion agréable. La montée au travers des rochers est assez raide, mais finalement assez facile à gravir. Le soleil est maintenant très présent, avec la présence du vent. À la chapelle, à près de mille mètres d’altitude, nous profitons du lieu pour manger notre sandwich. Une Italienne appartenant à un groupe de touristes nous donne un morceau de leur gâteau qu'elle est en train de partager. Toujours ce geste du partage.
La chapelle du Saint Pilon.
Nous descendons pour prendre la direction de la forêt domaniale. Ce détour permettant d'effectuer la petite marche du jour nous fait passer par une ancienne charbonnière datant de 1920. Le carbounié italien y produisait du charbon de bois à partir de la combustion lente du chêne. Le temps des Bons Cousins charbonniers n'était pas si lointain comme on peut le voir dans mon opuscule sur les Hymnes des bons cousins charbonniers, ouvrage basé sur des documents datant de 1803 (chez l’auteur).
En chemin, rencontre avec des cavaliers à pied. Il faut dire que le chemin est particulièrement caillouteux et dangereux pour ces pauvres animaux.
C’est le retour vers l’hostellerie, une maison religieuse construite au XIXe siècle, tenue depuis lors par les frères dominicains. Je vais m’y reposer avant ma prochaine étape qui va me mener à Puyloubier, au pied de la montagne Sainte-Victoire.
C’est le moment de nous quitter, mon ami et compagnon Gilbert allant rejoindre son logis où il m’a accueilli la nuit dernière. Merci à vous Paola et Gilbert pour votre gentillesse et votre fraternité. Ce fut une grande joie de se revoir. Dans quelques semaines, Gilbert sera de retour avec un groupe d’amis qu’il avait entrainé pour le marathon de New York. Un autre point commun entre nous pour l’avoir couru à deux reprises… au siècle dernier.
La chambre à deux lits qui m'est affectée est simple et rustique. Cela me va bien. M’étant allongé pour me reposer après la douche, je n’ai pas entendu sonner la sonnerie annonçant le repas du soir. Lorsque j’arrive, presque tout le monde a terminé le sien. Une Volontaire de la Sainte-Baume, une jeune au service du sanctuaire, me sert rapidement.
En sortant du réfectoire, je découvre le portail sculpté au XVIe siècle à la demande du roi François 1er qui était destiné à l'entrée de la grotte. Il fut transféré au XIXe siècle à l'hôtellerie. Restauré, il est classé aux Monuments historiques, donnant accès à la très belle chapelle de l’hôtellerie.
Je ne tarde pas à m’endormir. Demain, ce sera une longue étape.
Merci à toi Gilbert pour les photos transmises.
À suivre.
Alain, dit Bourguignon la Passion.