33 – La Chapelle-des-Buis – La Vèze – Foucherans – Ornans : 34 km (848 km)
En forme, je prends mon petit-déjeuner vers 6 h 30 dans une boulangerie avant de partir pour cette longue étape me menant à Ornans, la cité du peintre Gustave Courbet. Le temps est frais, légèrement brumeux. Ma première vision est pour cette fameuse statue du marquis Jouffroy d’Abbans regardant le Doubs sur lequel, une personne amusante, a mis un chapeau et posé un masque de protection Covid. Un rappel qu’il faut se protéger.
Cet homme est considéré comme l’inventeur de la navigation à vapeur en perfectionnant la découverte de Denis Papin.
Je poursuis ma route en longeant le Doubs. Peu à peu, je sors de la cité en passant près du carrefour menant au tunnel de la citadelle. Quelques centaines de mètres plus loin, c’est sur la gauche la montée abrupte d’une petite route se terminant en cul-de-sac. Elle est prolongée par de nombreuses marches à travers bois. C’est raide surtout de bon matin.
J’ai atteint la colline faisant face au Mont Saint-Étienne où culmine la Citadelle de Vauban. Je découvre sur plusieurs niveaux cette défense voulue par Vauban, celle-ci étant inscrite depuis 2008 au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Surplombant de plus de 100 mètres la capitale comtoise, enserrée dans un méandre du Doubs, elle est un exemple de l’architecture militaire du 17e siècle sur près de douze hectares. Ses remparts longs de près de 600 mètres, larges de cinq à six mètres et hauts de quinze à vingt mètres, épousent l’escarpement rocheux.
Vues de la citadelle de Besançon.
L’histoire nous conte qu’en 1674, Vauban dirigea le siège en présence de Louis XIV. Il faudra sept jours pour que la citadelle soit prise. Vauban fut chargé par le roi de la renforcer. De 1677 à 1693, la quasi-totalité des fortifications de l’enceinte urbaine est reconstruite.
En 1687, Vauban invente un nouveau type de construction architecturale, les tours bastionnées, pour optimiser la défense de la ville contre les hauteurs menaçantes. Il optimise ainsi la défense du cœur ancien de la cité avec l’édification de six tours bastionnées le long du Doubs, un système novateur. Après vingt ans de travaux, les fortifications de la ville ont coûté si cher au trésor royal que Louis XIV aurait demandé « si la citadelle n’avait pas été construite en or ! »
Je rejoins une route goudronnée suivant le chemin de croix menant à la Chapelle-des-Buis, un hameau de Besançon. En route, au milieu des rochers, une Vierge pose un arrêt. Puis, je découvre la chapelle, restaurée au 19e siècle. Elle est close. Je découvre alors que le site des Buis abrite une communauté de frères franciscains depuis 1946. Si je l’avais su plus tôt, au lieu de dormir en ville, j’aurais pu être accueilli par la communauté recevant les pèlerins.
J’arrive à Notre-Dame de la Libération, une église et un site de mémoire édifiés sur le mont des Buis à l’intérieur des fossés d’un ancien fort dominant à 500 mètres d’altitude Besançon. On peut apercevoir à nos pieds la cité bisontine surmontée de sa Citadelle. La crypte, surmontée d’une Vierge de sept mètres de hauteur, abrite sur des plaques commémoratives portant les noms des 5 5000 morts de la guerre, quelle que soit leur religion. À l’heure de mon passage, je n’ai pas pu la visiter.
Vues de Notre-Dame de la Libération.
Il faut maintenant entreprendre la descente par un petit sentier pierreux serpentant derrière la Madone. Le passage en forêt m’amène en direction de Montfaucon. Le grand détour par les marais de la Petite Saône me semble superflu. Aussi, sur ces conseils de Marguerite, une marcheuse du cru, je prends la direction de La Vèze. Elle m’accompagna pendant quelques centaines de mètres dans cette direction.
Je passe devant l’aérodrome local. Dans le ciel, un pilote à bord de son avion de voltige effectue des acrobaties, éteignant et allumant son moteur dans un bruit assourdissant. Le soleil bien présent se réverbère sur sa carlingue. On est loin du chant harmonieux des oiseaux. Bien qu’ils soient habitués, je plains les habitants de ce village et de ceux environnants au milieu de ce fracas. Peu à peu, le bruit s’atténue, il vient d’atterrir. Ouf ! Une dizaine de minutes de silence avant d’entendre de nouveau son bruit.
Je prends une petite route et tombe littéralement sur la maison forestière du bois d’Aglans. Un endroit accueillant où je vais me poser une demi-heure pour ma collation du matin.
Direction Foucherans. Après ce village, en pleine forêt, nouvel arrêt sur un lieu aménagé avec des troncs de bois. Il y a même un coin pour les grillades ou le feu de bois. J’aurais presque pu y poser ma tente si je l’avais conservée.
Continuant ma route, je me trompe de fléchage rouge et blanc, si bien que je me retrouve sur une petite route départementale longeant une petite rivière, la Brême. Je rejoins le point de jonction avec une longue piste cyclable (certainement une ancienne voie de chemin de fer), passant au-dessus d’une route départementale fréquentée. Pour rejoindre Ornans, je n’ai plus qu’à la suivre y compris en passant au-dessus d’un viaduc. Je rencontre quelques promeneurs. Le soleil tape fort maintenant.
Ornans est le lieu de naissance en 1819 de Gustave Courbet, un peintre mondialement connu pour ces mille œuvres sans oublier ses nombreuses sculptures. Sa région natale lui sert de décor favori dans nombre de ses tableaux. La plus provocante de ses peintures, L’Origine du Monde peint en 1866, est une commande privée qui demeura longtemps inconnue du grand public.
Je vais passer près d’une bonne heure dans le village de 4 400 habitants, parcourant ses rues et ses ponts fleuris sur la Loue.
M’arrêtant sur la placette face à la bibliothèque municipale, une sculpture réalisée par Jean-Marc Vienot, un tailleur de pierre local a particulièrement attiré mon attention.
Sur un gros bloc de roche calcaire, un homme nu accroupi taille la pierre. Une femme enceinte allongée tend la main à un enfant émergeant d’un bloc taillé. Il tient un maillet et tend la main vers la femme, sa mère probablement. Un globe, enchâssé dans la roche, porte cette dédicace en spirale : « À tous les humanistes de ce monde. À tous ceux qui ont donné leur vie pour l’humanité… ». Un message qui m’a touché droit au cœur, ayant cette sensibilité pour ceux luttant pour la justice et la liberté. À côté de cette scène, deux fauteuils et une table grossièrement taillés dans la roche.
Il est temps de me rapprocher de mon étape du soir, un gîte dénommé Le sanglier qui fume, situé dans la vallée de la Puce, un nom qui ne manque pas d’attirer de nouveau mon attention. Il se trouve hors du chemin, à la sortie du bourg.
Il s’agit d’un lieu associatif tenu par d’anciens commerçants qui m’a tout de suite fait penser à ces lieux soixante-huitards. Une époque bien vécue, j’avais 19 ans à Paris. L’époque de ma révolte contre une société que je ne comprenais pas. Mon hôte a lui aussi pris ses distances avec le monde consumériste de notre époque. Et, tout vous dire, cela m’a rajeuni, cette rugosité de ma jeunesse.
Mon hôte m'explique l’histoire de ce nom de Sanglier qui fume. Alors qu'ils travaillaient pour un ONG en Afrique, ils avaient l'habitude d'aller avec d'autres Européens dans un café qui portait ce nom. Ils l'ont ramené ici.
L’électricité est fournie par des panneaux solaires, les toilettes sont sèches, mon habitation dans un petit local de bois est sommaire : un matelas posé sur le banc d’un sauna utilisé l’hiver. Quant à la douche, elle est rustique, fraîche, presque à l’air libre, donnant sur une tente familiale de campeurs. Venu à pied, mon hôte demande aux quelques campeurs présents de me laisser me doucher en premier.
Au Sanglier qui fume.
Le pèlerin est très bien accueilli, et même chouchouté pour un montant adapté à nos ressources. Le soir, j’ai droit à un repas copieux dans la même lignée, avec des légumes frais locaux. Comme certains de mes hôtes sur ce chemin, mes accueillants souhaitent rester discrets, sans publicité, pour rester à taille humaine.
Ce couple sympathique, dont la femme est Suédoise, m’a beaucoup marqué par sa gentillesse et son empressement à faire plaisir.