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Publié par Alain Lequien

   Je pars à 7h15 pour rejoindre Éguzon. Ce sera une très longue marche pour rejoindre La Souterraine (Creuse), à moins que je trouve une solution en route. J’ai un train à prendre demain matin pour Dijon, car je dois assurer des cours de management à Chalon-sur-Saône et Charnay-Lès-Mâcon.  Une petite rupture dans ma marche nécessaire pour financer mon projet. À chaque jour sa peine.

   De bon matin, je dois gravir la montée raide faite en auto-stop hier soir. Cela me met bien en jambes. Trois kilomètres plus loin, après Éguzonnet, j’arrive à Éguzon. Comme il est tôt, et qu’il faut tenir le coup, je prends un grand café au bar l’Expresso le bien nommé.

   Je quitte la ville par des petites routes goudronnées. Les hameaux défilent. Dans un passage en forêt, je dois passer une petite rivière, la Clavière sur un petit pont. En parcourant un chemin entouré de hautes herbes, je quitte l'Indre pour la Creuse. Je continue par une alternance de petites routes et de chemins ayant gardé les traces des pluies récentes en direction de Crozant.

   J’ai hâte d’y arriver pour trouver une halte sympathique. Cela se gagne par une succession de longues montées et descentes qui se succèdent. Enfin, j’entends le bruit de l’eau d’un torrent et crois avoir enfin gagné le droit à une petite halte. En fait, la route me mène vers une longue descente sinueuse, suivie d’une remontée aussi raide vers l’ancienne citadelle. On se croirait presque en Savoie.

   Crozant est un bourg perché sur un promontoire dominant la Creuse et la Sédelle. Les ruines de la citadelle sont impressionnantes. George Sand venue avec son ami Chopin décrit son étonnement dans Le Péché de monsieur Antoine. On trouve à ses pieds un accueil pour les pèlerins. Je poursuis ma route vers l’église Saint-Étienne qui ne m’impressionne guère. En sortant, je croise des touristes qui m’interpellent. Une discussion s’engage sur le pourquoi du pèlerinage, et ils terminent en me disant qu’ils viennent justement de déguster une soupe de pèlerin contenant du fromage. Le prix : 6,50 euros. Je trouve que c’est onéreux. Il n’y a pas de petit profit pour les marchands de soupe prêts à vendre n’importe quoi pour gagner un peu d’argent. Enfin, après tout, cela fait marcher le commerce local.      

   C’est la descente rapide par un petit chemin sur les bords de la Sédelle. Je découvre un moulin sur lequel est noté encore de nos jours le texte « Carderie, Filature, Teinture, Fabrication de Draps et Toiles ». Il servit de modèle pour peindre La filature de la Folie par Paul Madeline. Voici aussi ce qu’en disait, en 1901, Albert Geoffroy dans son ouvrage Huit jours à Crozant. « Le moulin adossé au coteau, avec des bâtiments rustiques, des roues en bois portant en guise de barbe des mousses vénérables, un vieux pont aux ais disjoints tenant par miracle sur des piliers de pierres sèches, la rivière bruissant et se faufilant au milieu des roches et des galets, donne à ce coin de la vallée le plus pittoresque aspect. »

   Cette vallée des Peintres servit de modèle à de nombreux peintres impressionnistes, comme Armand Guillaumin qui, ayant eu la chance de gagner 100 000 francs-or  à la Loterie nationale, se consacrer entièrement à son art. Claude Monet multiplia ses séjours afin de capter sur ses toiles les changements de la nature au gré de la lumière et de la météo capricieuse.

   Je passe maintenant au pont Charraud qui selon une légende locale fut considéré comme un pont du diable. Le maçon en charge de le construire, ne pouvant le réaliser dans les temps, aurait pactisé avec le démon pour que celui-ci le réalise en un seul jour. En échange, le diable demanda le premier fagot qu’il aura lié le matin… Le lendemain, il vint au rendez-vous tout nu. « Misérable, hurla le diable en fureur, tu m'as trompé. » Dans sa rage, il jeta la clé de voute qui fut mise très longtemps après !

   Direction La Chapelle-Baloue où je déjeune sur la place juste en face d’un bar étonnant ouvrant de 9h00 à 17h00. Des touristes s’y arrêtent pour déjeuner. Reprise du chemin par des petites routes goudronnées en passant par de nouveaux hameaux. Je ne rencontre quasiment personne et rares sont les voitures. Le soleil brille, le temps est chaud et m’oblige de temps à autre à m’arrêter pour boire et poser le sac. Il est vrai que depuis que mes compagnons pèlerins m’ont dit qu’il n’était pas très adapté, il me semble plus lourd. La psychologie…

En cours de route, je rencontre un troupeau de vaches brunes qui me regardent d’un air béat. Je ne manque pas de leur lancer un salut les vaches. C’est certes idiot, mais bof, qui m’entend ?

   Après une montée raide et deux étangs, j’arrive au château de Saint-Germain-Beaupré fermé au public. Tant pis. Je continue par une petite montée raide vers le village et arrive devant une belle église fermée également par une grille. Dommage ! Elle abriterait une chapelle seigneuriale que j’aurais aimé découvrir. Ma gourde étant quasiment vide, je demande de l’eau fraîche à un habitant sur la place. Je suis servi sans grand commentaire.

    Direction de Saint-Agnant-de-Versillat par un chemin dont les herbes arrivent à ma taille. Je rencontre deux cavalières tout étonnées de voir un marcheur sur ce chemin. Petite discussion rapide. Un peu plus loin, je découvre un endroit aménagé pour les promeneurs avec une étrange boite aux lettres décorée de la coquille. Je l’ouvre par curiosité. J’y découvre des documents enveloppés dans une poche plastique. Bien sûr, je n’y touche pas. Peut-être est-ce à destination d’un pèlerin à venir.

   Je reprends mon parcours par des routes goudronnées jusqu’à La Souterraine. J’ai déjà fait plus de 30 kilomètres aujourd’hui, j’ai hâte d’arriver. L’entrée dans les abords de la cité est classique : de nombreux véhicules, de l’animation. Je me dirige d’abord vers la gare où je dois prendre mon billet pour mon départ demain matin en direction de Dijon.  

   Il est 17h30. Cela fait plus de dix heures que je suis parti. Même si je me suis arrêté un peu en route, et pris mon temps, la moyenne est inférieure à quatre kilomètres par heure. Je pars à la recherche d’un logement pour la nuit. Contrairement aux informations fournies, le foyer de jeunes travailleurs ne reçoit plus de pèlerins. Donc, mauvaise pioche.

   Me dirigeant vers l’église, je la trouve fermée. C’est alors que Max qui m’avait vu arriver m’interpelle. Il possède les clés de l’église. Cet ancien cheminot passe son temps à accueillir les pèlerins, et milite auprès de la municipalité pour créer un accueil pèlerin. Il est en effet étonnant que des petites communes rurales le fassent alors qu’une grande ville s’en dispense. Plus d’un millier de pèlerins passent ici chaque année.

   Voyant que je suis à la recherche d’un lieu d’accueil, il téléphone et me trouve une place à la Maison numéro neuf » située près de là. C’est une chambre d’hôte qui s’ouvre à l’accueil des pèlerins. C’est fait, je visite l’église. Un jeune homme du cru m’aborde. Il a envie de faire le parcours. Nous en parlons pendant un bon quart d’heure dans la fraîcheur de l’édifice. Voulant visiter la crypte, hélas, elle n’est pas accessible. 

   C’est alors qu’arrive Jon, mon compagnon de voyage depuis plusieurs jours, tout aussi fatigué que moi. Il est aussi à la recherche d’une gîte pour la nuit. Il vint au même endroit que moi. Nous passons donc une seconde soirée ensemble.

   En nous rendant au gîte, son propriétaire vient à notre rencontre. C’est un Anglais qui s’est installé dans une grande maison bourgeoise qu’il a transformée pour la rentabiliser. L’accueil est chaleureux, la cuisine bonne, le lit confortable. Le montant de la nuitée dépasse le montant de mon budget, quarante euros, mais bon, j’ai économisé sur la route.

   La soirée repas se déroule en compagnie de deux autres pèlerins néerlandais et se termine à 22h30. Je n’ai pas le courage d’écrire ce soir-là. La journée a été rude, et j’ai peur de rater mon train. 

   À mon retour - Alain, Bourguignon la Passion.

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