Étape 18 : Du Puy-en-Velay (43) à Saint-Privat d’Allier (43) – 24 km (458 km)
Il est un peu plus de 6h00 lorsque je me lève. La nuit fut courte dans ce box aménagé dans des locaux mis à disposition par une école religieuse pour recevoir les pèlerins. Hier après-midi, j’ai entendu des enfants répéter des chants chrétiens pour la communion ou confirmation, qui ont réveillé en moi des souvenirs lointains.
Il est évident qu’il s’agit pour moi d’une nouvelle étape du cheminement, en sortant de la solitude des deux semaines précédentes. Dorénavant, il va falloir cohabiter et m’habituer à vivre au sein d’une communauté plus dense en rejoignant la plus fréquentée des voies historiques françaises. Tout va donc être différent, du moins, c’est ce que je pressens.
Ronflements, pianotage sur des appareils électroniques (les fameux bips-bips), allées et venues, tout est mis en œuvre comme si nous étions en train de passer une épreuve. Bref, pour tout dire, pas vraiment une bonne nuit. C’est cela aussi le Chemin : des mises à l’épreuve comme pour valider notre engagement.
Nous avons décidé hier soir, Djamel et moi, de marcher ensemble. Moi, l’ours un peu mal léché, et lui le jeune homme plein de doutes qui entame le Camino. Drôle de couple. C’est aussi un moyen de mieux se connaitre. D’origine berbère, ses parents sont venus s’installer en France. Djamel est né près de Valenciennes. Un vrai chti en fait avec ce parler particulier que nous connaissons tous grâce au film de Dany Boon.
Après le petit-déjeuner pris en commun et préparé par nos hôtes, notre premier acte symbolique fut de nous rendre à la bénédiction des pèlerins donnée ce matin, vers 7h30, à la cathédrale du Puy. Moment plein d’émotions où chacun se présente en donnant sa nationalité, sa ville de départ et celle de sa destination. Nous sommes une cinquantaine, prêts à partir sur le Chemin. Un monde hétéroclite : français, belges, allemands, roumains, anglais, américains, et même venus du continent asiatique… Jeunes, vieux, femmes, hommes, une représentation du monde profane.
Peu d’entre nous vont jusqu’à Santiago, quelques-uns continuent vers Fatima (Portugal). La majorité d’entre nous s’arrêtent à Conques après une dizaine d’étapes. Si la majorité débute au Puy, quelques-uns, comme votre serviteur, sont partis de leur domicile. C’est le cas pour des Allemands, des Suisses, des Lyonnais. Au contraire, quelques-uns terminent leur premier parcours comme le couple allemand rencontré à Saint-Georges-Lagricol. Nous sommes très heureux de nous revoir en faisant l’accolade traditionnelle et fraternelle de ceux qui ont marché dans les pas de nos Anciens.
Après la bénédiction, chacun reçoit une médaille délivrée par une sœur religieuse. Il peut aussi prendre un livre de prières et un chapelet en fonction de ses croyances intimes. L’officiant se montre particulièrement ouvert et plein d’humour envers toutes les cultures. Son message est très œcuménique. Il nous amène à nous découvrir, à travailler sur notre être intérieur pour faire le bien autour de soi. Un vrai message de responsabilité personnelle face à sa vie qui j’approuve.
Après le passage à la sacristie-bibliothèque pour faire tamponner la crédentiale, c’est le départ de l’étape du jour. Djam est envahi de fortes émotions. Il en rêve depuis des mois. Lui, l’agnostique, a vécu cette bénédiction avec une grande ferveur.
C’est la grande descente vers la ville du Puy en passant devant La Felouque où nous avons diné hier soir. En suivant les marques rouges et blanches, nous nous sommes égarés pour sortir de la ville. Déjà… Un homme du cru, baliseur, est étonné de découvrir les marques que nous lui montrons[1]. Après plusieurs fausses pistes, nous trouvons enfin la bonne route. Heureusement que nous sommes deux… Il va donc falloir faire attention.
La voie Podiensis, puisque tel est son nom latin, est souvent considérée par les marcheurs comme le plus beau tronçon du Puy-en-Velay à Conques. De nombreux sites sont classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Nous partons à la découverte de cette région aux paysages variés au fur et à mesure de notre avancement sur le Chemin. Il n’y a qu’à voir cette église, presque une place forte, avec ces cloches apparentes, ou cette petite chapelle pleine de charme.
Djam se montre un bon compagnon de voyage. Cultivé, il est en pleine recherche de lui-même. À le voir s’intéresser à de nombreuses choses, nous nous enrichissons mutuellement. Au fil du temps, sa compagnie me prouve que nous avons fait le bon choix de cheminer ensemble.
Les lieux étonnants des Monts du Velay succèdent à d’autres lieux. Ici, nous profitons des choses qui échappent à l’œil du touriste. Heureusement, devrais-je dire, car profiter de la beauté des choses insolites se mérite. Elle ne doit pas être servie sur l’autel de la consommation.
Nous passons ainsi au hameau de La Roche avec ses chibottes, des constructions circulaires en pierre sèche. Puis, à Saint-Christophe-sur-Dolaizon situé à 900 mètres d’altitude, avec son église imposante en pierres volcaniques rougeâtres et son clocher à peignes. Ensuite, à la chapelle Saint-Roch du XIIIe siècle de Montbonnet, puis à la tourbière du lac de l’Œuf à 1200 mètres d’altitude avant de descendre à moins de 900 mètres à Saint-Privat d’Allier.
Le village doit son essor au chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au cours de la période révolutionnaire, la commune porta le nom de Privat-la-Roche.
Dans ce village, j’avais prévu de rejoindre l’accueil jacquaire que certains, le long de la route, critiquaient déjà à partir du ouï-dire. Radio Camino[2] redémarre comme l’an dernier. Quant à Djam, il avait prévu de dormir sous sa tente.
Pourquoi nous sommes-nous arrêtés à l’Acrobat ? Mystère ! Nous y avons bu une bière, puis deux avant de découvrir que les propriétaires étaient originaires du Nord, la femme étant née tout près du lieu de naissance de Djam. Des chtis comme lui… Comme ils avaient une chambre, ils nous l’ont proposée. Prenant pension, nous n’avons pas regretté ce choix en retrouvant un endroit calme après la nuit de la veille. Le repas fut à la hauteur de la tradition nordiste, de bonne composition.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.
[1] Quelques années plus tard, je suivrais ces fameuses balises qui sont en fait celles de la Régordane, en direction d’Alès et de Nîmes.
[2] Lien informel entre pèlerins, hospitaliers et parfois habitants d’une région traversée, Radio Camino est une source d’informations souvent fiable, quelquefois aussi de transmission de rumeurs. Il faut donc exercer son esprit critique et prendre du recul.