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Publié par Alain Lequien

   Ne dit-on pas que l’avenir appartient à celui qui se lève tôt. C’est notre cas même si nous n’avons pas de courses à faire, mais pour cheminer tout simplement à notre vitesse, au gré des événements. L’église de Saint-Alban est magnifique, mais comme d’habitude à cette heure-là, elle est fermée.

   Direction Les Estrets, le village situé à plus de sept kilomètres. Hier soir, le téléphone portable ne fonctionnait pas (pauvre France, il faut faire quelque chose…) et ma puce n’a pu me souhaiter mon anniversaire.

Comme aujourd’hui c’est le sien (eh oui !, nous sommes nés à un jour d’écart, mais pas la même année), nous avons l’habitude de faire souhaits communs. Un petit moment de bonheur familial, nous ferons une belle fête à mon retour. Je salive !

   C’est aussi le moment de réserver notre gîte pour ce soir, car nous avons appris par nos hôtes de Saint-Alban qu’une compétition allait se dérouler au cours du week-end à Nasbinals, un village situé à une trentaine de kilomètres de là.

Il s’agit d’un trail (course à pied en milieu naturel) réunissant plus de quatre mille participants sans oublier les accompagnateurs. Les gîtes sont remplis à la ronde. Heureusement, celui que l’on nous a conseillé à la fin de notre étape dispose de deux places. L’un de nous devra dormir sur un matelas par terre. Pas grave, l’important est de dormir à l’abri.

   Nous apprendrons à notre arrivée que notre hôtesse de Saint-Alban était passée vérifier que nous n’étions pas en galère. Merci pour cette chaîne d’union jacquaire. Ce manque de place est si évident que nous rencontrons des pèlerins retournant en arrière (un comble pour un jacquet !) pour se trouver un logement. Nous avons été chanceux. 

   Nous sommes repartis ensemble – Robert, Djam et moi – mais notre Américain prend ses distances et les devants. Avec ses grandes jambes, il va nettement plus vite que nous. Ses origines indiennes (les Indiens d’Amérique) me font penser à ses ancêtres parcourant de longues distances pendant des journées. Si parfois le chemin est aisé, ce n’est pas toujours le cas. Certains chemins sont ravinés ou encombrés par de grosses pierres. Sans oublier les coups de boutoir nécessaires pour assurer le dénivelé. 

  En route, nous trouvons deux petites cabanes réalisées avec des branchages aménagées d’une table et de chaises. Elles semblent anciennes, le toit étant recouvert d’une épaisse mousse verte. Mon esprit vagabond me fait penser aux Bons Cousins charbonniers[1] de la forêt de Chaux, près de Dole dans le Jura.

   Nous nous arrêtons aux Estrets, au gîte du Gévaudan, pour boire le traditionnel café du milieu de matinée. Le propriétaire semble très inquiet, ayant peu de réservations. Ce petit village appartenait autrefois à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.   

Quatre kilomètres plus loin, Djam s’aperçoit qu’il a oublié son livret et surtout sa crédentiale lors de notre arrêt. Cela l’oblige à faire marche arrière pendant que je garde les sacs. Ce temps mort, je l’utilise pour taper un peu de texte sur l’ordinateur portable.

   Je suis surpris dans cette position par un groupe de randonneurs dont certains n’hésitent pas à engager la conversation sur cette vision un peu anachronique d’un gars en train de bosser ainsi, loin de tout.

Une bonne heure plus tard (Djam a couru), nous reprenons le Chemin.

   Quatre kilomètres plus loin, nous arrivons à Aumont-Aubrac où nous sommes accueillis dans la salle Saint-Étienne par un hospitalier de soixante-quinze ans. Une véritable encyclopédie du terrain. Non seulement il nous offre le café, la boisson… et nous fait découvrir son exposition sur ses cheminements. Un moment fort délivré par cet homme d’une grande humilité.

   En sortant, une voiture me rase. Faisant un écart, je tombe lourdement à terre, mon pied étant bloqué par le trottoir.

Heureusement, ma chute est amortie par Djam qui a vu le coup venir. J’ai le genou droit écorché (encore lui), la peau arrachée au bras et à la main droite. Bien entendu, la voiture coupable ne s’est pas arrêtée. Je ne suis qu’un pèlerin après tout, pas quelqu’un du coin. Je boite, j’ai mal, les écorchures me brûlent un peu. Bon, le Chemin continue.

   Cela me rappelle un proverbe de Confucius : « La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute. »  

En route, allez savoir pourquoi, j’y vois aussi un clin d’œil. Je redécouvre ce beau texte d’Henri Vincenot, le grand auteur bourguignon que l’on peut retrouver dans les Étoiles de Compostelle.

   « Tu as marché, marché, marché… Et, tu as trouvé la réflexion, parce qu’en marchant, tu t’es baigné dans la Vouivre, tu as respiré son haleine par toute la surface de ta peau, et la plante de tes pieds. Tu t’es imbibé de l’esprit du monde ! Marcher… c’est le secret révélateur. On ne peut pas asservir l’homme qui marche ! »

   Belle pensée de l’esprit de liberté qui plane sur le Chemin.

   Le soleil est toujours présent. La borne jacquaire annonçant qu’il ne reste que 1445 kilomètres à parcourir pour Santiago, nous prenons une photo souvenir. En chemin, toujours ces animaux qui mettent un peu de vie à ce paysage. Par exemple, des chevaux et un âne particulièrement gourmand, me piquant mon bâton de marche en accrochant le tissu rouge. J’ai du mal à le lui enlever. 

  La Chaze-de-Peyre, Lasbros, Puech del Mouli, Lous Passadous, nous sommes bien sur le plateau de l’Aubrac, avec ses champs et ses chemins délimités par de nombreux murets de pierres. Le massif est parsemé d’anciennes cabanes en pierres basaltiques d’alpage ou de bergers. On les utilisait aussi pour faire le fromage.

   Au Quatre-Chemins, nous passons près de Chez Régine, l’hôtesse du Camino comme parfois elle est surnommée. Elle a reçu des personnalités telles que Jean-Pierre Raffarin, Patrick Poivre d’Arvor, Charlotte de Turckheim… Radio Camino dit que c’est une personnalité qui a ses têtes. Elle aime ou elle n’aime pas.

   Nous arrivons enfin aux Gentianes, à 1200 mètres d’altitude. Monique, l’hospitalière du lieu, nous accueille avec chaleur. Comme je vous l’ai dit, nous étions attendus.

   Plutôt que de prendre le matelas, Djam demande s’il peut camper. Monique accepte sans demander le moindre dédommagement. La convivialité, je vous dis. Personnellement, je m’installe dans le gîte. Je partage la chambre avec Joël et son fils.

   Le soir, les quarante pèlerins présents, toutes nationalités confondues, partagent l’aligot[2], une purée de pomme de terre au fromage, et la saucisse du lieu, bien arrosés par le vin de pays. L’ambiance est amicale. On se croirait dans une grande famille. Un vrai plaisir. Quant à Monique, la Maité de l’Aubrac, quel cœur, quelle générosité. Nous sommes déçus pour nos successeurs sur le Chemin, elle a l’intention de s’arrêter à la fin de la saison après vingt-deux ans de bons et loyaux services pour les jacquets.

   De retour dans notre chambrée, une discussion libre s’établit avec Joël. Nous nous apercevons que nous partageons une éthique commune et des valeurs humanistes. Nous nous sommes reconnus comme tels.

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.  

 

[1] Alain Lequien, Les Mystères du Jura, Éditions de Borée.  Alain Lequien, Hymnes des cousins charbonniers, Éditions Temps Impossibles. 

[2] Je conte cette légende dans les mystères de Saint-Jacques de Compostelle, Éditions de Borée.

 

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