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Publié par Alain Lequien

   Cela fait 39 jours que je suis parti. En me levant, je découvre ma jambe plus enflée qu’hier. Poser le pied sur le sol m’est difficile, puis, peu à peu, la douleur s’estompe. Pourtant, sur les conseils de Marinette, j’avais placé mon pied en hauteur en le bloquant avec une couverture.

   J’ai alors un grand doute qui me turlupine : vais-je pouvoir continuer le Chemin ? Vous connaissez la fierté que l’on peut avoir certaines fois : je préfère me taire et dire que cela va mieux. D’autant que dans notre quatuor, je ne suis pas le seul à souffrir. Une pèlerine, bien qu’envisageant d’aller à Santiago, souffre des genoux. Elle doit porter des genouillères.

Quant aux deux autres, la fin du cheminement s’annonce. La seconde pèlerine s’arrête à la fin de l’étape. Quant à notre Québécois, dans une semaine, il sera arrivé à Saint-Jean-Pied-de-Port, avant de rejoindre son pays, horaire d’avion oblige. Cela ressemble au blues du Chemin !

   Cela ne nous empêche pas de partager le petit-déjeuner copieux concocté par Marinette.

   Il n’est pas possible de visiter l’église romane St-Pierre-St-Paul, elle est fermée.

Nous rejoignons la voie officielle du Chemin en retrouvant la même trilogie : petites routes campagnardes, chemins agricoles, chemins forestiers. Un engin forestier faisant grand bruit me croise. Le conducteur me fait un petit signe en passant. Il doit avoir l’habitude de voir des cheminants par ici.

   Eh oui ! Je marche maintenant seul. Mes compagnons m’ont lâché progressivement. Cela est bien normal, chacun doit aller à son rythme et s’arrêter quand le besoin s’en fait sentir sans déranger les autres. Toujours cette liberté individuelle qui est au cœur du Chemin. 

   S’il y a de nombreuses cultures, il y a aussi de la vigne comme ces vins de Saint Mont façonnés à la main. Et cet affichage indique : « Cher voyageur, en empruntant la Via Podiensis, vous traversez le vignoble de Saint-Mont dont les cépages locaux ancestraux, originaires du piémont pyrénéen, sont façonnés à la main par nos vignerons depuis des générations. Bonne route… »

   Je longe maintenant une ligne de chemin de fer qui doit me mener à Barcelone-du-Gers. Comme j’ai déjà faim, et que je veux me reposer, je m’arrête à l’ombre d‘un arbre. Lorsque je reprends la route, je découvre cinq cents mètres plus loin mes compagnons de route attablés à un arrêt proposé par on ne sait qui. J’en ris, car ici, c’était quand même plus confortable. Le Chemin n’est pas tristesse, il faut savoir se moquer de soi-même.

   Ah ! J’allais oublier un moment historique même si je n’ai pas bien repéré les lieux. Vers 1118, les Templiers de Manciet fondèrent entre les collines d'Arblade le Bas, Vergogne et Bernède, l'hôpital de Cosset qui offrait le droit de gîte aux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.

   Une heure plus tard, après m’être fait asperger par un jet d’eau à destination d’un champ de maïs (en fait, j’ai aimé cela, cela rafraichit), j'ai traversé Barcelone-du-Gers. À la sortie, je quitte le Gers pour entrer dans le département des Landes.

   Je ne suis plus très loin de chez Paulette, la dame martiniquaise qui accueille des pèlerins à l’occasion. Me voyant dans un mauvais état, elle appelle son médecin. Celui-ci, après m’avoir ausculté, m’envoie aux urgences de la polyclinique locale pour passer une radio.

   Paulette m’y emmène. Trois heures plus tard, le pronostic tombe : ce n’est pas une fracture du marcheur (ouf !), mais la piqûre d’un animal qui a créé une inflammation importante de la jambe en formant un œdème. L’infirmière qui m’avait reçu avait eu le nez en déclenchant une prise de sang.

   Le traitement : des piqûres dans le ventre pour liquéfier le sang, et (selon la pharmacienne de garde qui m’a délivré les médicaments) un traitement de choc de dix jours à base d’antibiotiques. Je dois prendre plusieurs jours de repos, car le traitement est fatigant. Je vais donc suivre ce traitement. Quant au repos, une journée suffira à ma peine. J’avoue que je ne m’en tire pas trop mal.

   Paulette se montre une hôtesse prenant grand soin de moi. Je suis un véritable coq en pâte. Certainement par nature, mais aussi parce que ma tendre épouse est aussi martiniquaise. L’esprit des gens des Iles qui savent tout donner sans attendre de retour. Comme tous devraient le faire.

   Vers 22h00, je vais me coucher dans la chambre mise à ma disposition.

   Le lendemain, je vais écrire longuement, car j’ai beaucoup de retard. En cours de journée, un ami vient me chercher en voiture pour me faire visiter la très belle cathédrale d’Aire-sur-l’Adour.

   La cité est très ancienne puisque l’on parle d’un peuplement sous Jules César. C’est tout dire ! Au Ve siècle, les Wisigoths fondèrent un royaume wisigoth. La cité était importante, au point qu’en 506 le roi Alaric II y promulgua le Bréviaire d’Alaric[1].

   Selon la légende, vers 480 au Mas, Quitterie, une jeune princesse wisigothe chrétienne, subit le martyre pour avoir refusé d’abjurer sa foi avant de se marier avec un prince arien. Cette sainte est à l’origine d’un culte profond. Les jacquets ne manquaient pas de venir se recueillir sur son tombeau. Une église romane portant son nom fut bâtie au XIe siècle, attenante à un monastère bénédictin. Dans la crypte, on peut voir un sarcophage en marbre blanc qui contiendrait les reliques de sainte Quitterie. Elle est classée au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.

   La cathédrale Saint-Jean-Baptiste a été construite à la fin du XIe siècle, détruite en partie aux XIIIe et XVIe siècles lors des Guerres de Religion. C’est beau. Il a fallu des années pour tout restaurer, mais quelle magnificence.

   Je profite de cette journée pour me reposer.

   Demain, c’est décidé, je reprends la route, car le moral est revenu. Le traitement fait son effet, j’ai moins mal. Et puis, entre nous, peut-on laisser flâner l’hyperactif que je suis ? Le repos sans rien faire n’est pas ma tasse de thé. Quant à mon parcours, je déciderais si je continue ou pas à la fin de la prochaine étape.

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.

 

[1] Le Bréviaire d’Alaric, appelé aussi code Alaric, est un recueil de droit romain promulgué par le roi wisigoth Alaric II, en 506. Il s’agit d’une compilation et d’une interprétation du code Théodosien (438), destinée aux sujets gallo-romains des Wisigoths. Après la conquête d’une partie du territoire des Wisigoths par le roi des Francs, Clovis, il fut rendu applicable par ce dernier à tous ses sujets en Gaule. Il y demeura le texte de lois romaines le plus répandu jusqu’au XIIe siècle, jusqu’à la découverte des Compilations de Justinien.

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