Étape 45 : Redecilla del Camino (Cast.) à Villafranca Montes de Oca (Cast.) – 24 km (1220 km)
Voulant partir à 5h00 du matin, avec mon légendaire sens de l’orientation, je me trompe de côté. Comme muni d’un doute, je reviens au refuge où je trouve Ramon et Bjorn. Prêt, Bjorn me propose de faire route commune, disposant d’une lampe pour nous permettre de lire les marques sur le parcours. Et devinez ! J’étais reparti en direction de notre arrivée, partant donc en sens inverse. Ouf !
Pour éviter de nous perdre, nous longeons la route nationale où des camions nous frôlent.
Rapidement, nous passons à Castildelgado puis, par un détour, à Viloria de Rioja. Le retour vers la nationale me permet de prendre une photo du soleil naissant.
Longeant sur un chemin de terre la nationale, après la traversée de Villamayor del Rio endormie, nous arrivons à Belorado, cité située à sept cent soixante-dix mètres d’altitude. Comme il est maintenant 8h30, nous prenons notre petit-déjeuner à l’albergue locale à l’entrée du village. Bjorn semble apprécier ce moment où pour trois euros, nous avons droit à un café, un jus d’orange et un sandwich. Le mien fut au fromage.
Après cet encas copieux, nous traversons la cité et remarquons qu’il y a une grande concurrence entre les albergues. Il semble que le village vive de cette « industrie ». Dans le village, des marques étonnantes nous permettent de ne pas trop nous éloigner du chemin. Nous prenons la direction de Tosantos, puis de Villambistia. Un camion à grand renfort de musique invite les habitants à venir acheter des melons et des pêches. Nous achetons l’un et l’autre pour trois euros chacun. Le melon fut notre seul repas du midi. Il est sucré et rafraichissant.
Les pêches, ce sera pour la route.
Vous pourriez croire que nous échangions peu sur la route. Ne parlant pas le suédois, Bjorn quelques mots de français, nous conversons en anglais. Un bon moyen de pratiquer. Cela n’empêche pas les échanges même s’ils ne peuvent être approfondis. Au contraire dirais-je, il est parfois nécessaire de demander des précisions pour éviter les incompréhensions.
Notre sujet favori est un échange sur les grandes forces qui commandent l’univers, un au-delà qui n’a rien de religieux et qui nous pose beaucoup de questions. S’étant intéressé au bouddhisme, c’est l’occasion de parler de la place que nous tenons dans l’univers. Une conversation qui va durer tant que nous serons ensemble. Même si je ne partage pas toute sa thèse, chacun s’écoute et sur de nombreux points nous sommes d’accord sur le libre arbitre de l’homme comme composant de cet univers.
Nous arrivons bientôt en vue des ruines de l’ancien monastère Sante Felice. Puis c’est l’arrivée à Villafranca Montes de Oca, l'antique Auca des Romains. Selon la légende, son premier évêque aurait été San Indalecio nommé par saint Jacques lui-même.
Ici eut lieu le seizième miracle de saint Jacques qui se produisit en 1108 dans les monts d’Oca.
« Un Français s'était marié dans l'espoir d'avoir des enfants. Comme il vivait dans le péché, ses espoirs furent vains. Aussi prit-il le chemin de Compostelle pour s'attirer les faveurs de l'apôtre.
Devant le tombeau, il l'implora, le supplia et finit par obtenir ce pour quoi il avait fait le pèlerinage. De retour en France, il retrouva son épouse. Après un délai d'attente, celle-ci mit au monde un fils auquel ils donnèrent le nom de l'apôtre, Jacques. Lorsque l'enfant eut quinze ans, la famille partit pour Saint-Jacques. Arrivé dans les monts d’Oca, l'adolescent tomba malade et mourut. Folle de douleur, la mère s'adressa à saint Jacques : « Toi qui m'as donné cet enfant, rends-le-moi ! » Alors qu'on se préparait à lui donner une sépulture, le jeune homme se leva comme s'il sortait d’un long sommeil. Il raconta que l'apôtre, après avoir rendu son âme à son corps, lui avait demandé de repartir immédiatement pour Compostelle. »
La concurrence entre albergues est rude. Nous choisissons un hôtel vanté par un véhicule au même prix, cinq euros la nuit, que le refuge municipal. On n’est pas sur le Chemin pour une punition. On nous mène sur l’arrière de l’hôtel dans une chambrée de vingt lits confortables. Je peux travailler sur Internet.
Avant de diner, Bjorn préférant manger dans la cuisine mise à la disposition des pèlerins, je visite l'église paroissiale de Santiago datant du XVIIIe siècle. Le bénitier est en fait une énorme coquille ramenée des Philippines. Mais ce qui m’attire, c’est la présence de deux statues de maitre Jacques, dont l’une possède un reliquaire aménagé dans sa poitrine.
Étant fatigué, souffrant de ma blessure sous le pied qui s’est rouverte, je prends le diner complet pour douze euros. Le moyen d’échanger avec deux pèlerines dont l’une professe le yoga.
M’ayant vu mal en point, Bjorn propose de me soigner les pieds. C’est là qu’il m’apprend qu’il est militaire dans son pays sans s’étaler plus. Je ne lui pose pas de questions, cela ne me regarde pas s’il ne m’en dit pas plus. Il va réaliser un vrai travail de médecine. Avec une râpe, il régularise les contours de ma blessure, enlève tout ce qui peut gêner le traitement qu’il se propose de m’appliquer. Avec de l’alcool à 90 degrés, il nettoie la plaie et me dit qu’il me mettra de la crème à mon retour du diner. Je regrette de ne pas pouvoir manger avec lui, j’ai déjà retenu le diner au restaurant et il est difficile de me dédire maintenant. Il n’y a pas de client à l’hôtel.
Après le repas, il m’applique pour la nuit une potion américaine ayant pour but de boucher et de rapprocher les bords des coupures. Il me conseille de porter désormais des chaussettes pour éviter les infections. Un vrai frère, dans tous les sens du terme.
Le lendemain, tout ira bien comme par miracle.
Nous nous couchons relativement tard, pris par nos échanges.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.