Étape 46 : Ostabat-Asme (64) à Saint-Jean-Pied-de-Port (64) – 22 km (1189 km)
La nuit fut reposante. C’est notre dernière étape en France, et pour deux d’entre nous, de passer les Pyrénées. Hier soir, nous avons bien mangé et bu dans une franche amitié ; de celle qui vous laisse de nombreux souvenirs. Ce gîte confortable et bien pourvu des services est ce qu’attend le pèlerin au long cours. Peut-être manque-t-il le wifi. Mais, j’en demande trop. Le café bu, nous partons chacun à notre rythme. Bruno et Djam démarrent vite alors que les deux Alain marchent à leur pas de sénateur. Mais comme il est dit, les derniers seront les premiers.
Ostabat-Asme possède cette étrangeté : on y rentre par une sorte de tunnel en venant par l’ancien chemin des pèlerins, celui du bas. Quelques kilomètres après le village, nous sortons par un autre tunnel. Comme si ce lieu était un endroit singulier, un lieu de passage.
Ce matin, le soleil a du mal à se lever. Il apparaît timidement au milieu des nuages. Nous longeons par des chemins en grande partie la route départementale 933. À Larceveau-Arros-Cibits, Djam nous quitte quelques instants pour aller chercher de l’argent à la poste. En vain, elle est fermée. Il nous rejoignit à notre arrêt à Gamarthe.
Avant de suivre les sentiers surplombant la route, nous découvrons à Utziate quelques maisons, héritières des maisons des donats du prieuré-hôpital Sainte-Madeleine. Les donats étaient les chevilles ouvrières des institutions charitables. Ces laïcs se donnaient au Christ par des vœux mineurs : pauvreté, obéissance, chasteté en cas de veuvage. On y recevait les jacquets. L’une d’elles sert encore de refuge provisoire aux pèlerins pris sous la pluie ou le mauvais temps. À l’intérieur, le strict minimum pour passer la nuit, dont des matelas.
Le passage sur les hauteurs est difficile pour mon ami Alain, obligé de ralentir sa marche.
Pendant ce temps, Bruno caracole à l’avant. Votre serviteur fait le lien entre les deux sur deux ou trois kilomètres. Si en effet je ne souffre plus, je suis toutefois un peu inquiet pour Alain que je ne vois plus en ligne de mire.
Je m’arrête un instant à la croix de Galzetaburu, une croix navarraise datée de 1714. Elle marque l'entrée de la voie de Compostelle en Garazi, le pays de Donibane Garazi, le nom basque de Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle est sobre : un long fût surmonté d’un Christ naïf avec, au revers, une Vierge à l'Enfant. Au pied, un petit tas de cailloux déposés par les pèlerins. Sur le socle deux inscriptions : un hymne latin et un texte indiquant qu'on est à mi-chemin de la Soule et du Labourd (ancien vicomté).
Contrairement à l’an dernier, il n’y a plus la fameuse chaussure ancienne.
La descente vers Gamarthe, à dix kilomètres de la fin de l’étape, est facile. Ayant rejoint Bruno discutant avec un habitant du village, nous allons près de l’église (qui abrite aussi la mairie) pour profiter avec plaisir des produits maison proposés par les fermiers : du café bien sûr, mais surtout du lait, du fromage, du yaourt à boire et des gâteaux basques. Chacun peut manger ce qu'il veut et laisse dans une boîte à gâteaux son obole. Un bon moyen de promotion, mais surtout, ce bienfait avec le sourire. Nous y sommes rejoints par Alain et Djam. Ensemble, nous reprenons la route.
Il se passe toujours quelque chose sur le Camino. Nous rejoignons un groupe important – une trentaine de personnes – dont le projet est d’amener trois personnes handicapées sur des joëlettes jusqu’à Saint-Jean. Un beau projet qui demande une bonne organisation sur ces petites routes verdoyantes dont le dénivelé est loin d’être aisé. Certains tirent, d’autres poussent dans un même élan : celui du don et de la générosité. Elles passèrent, drapeau en tête, lorsque nous étions attablés pour le repas de midi, à Saint-Jean-le-Vieux. Les pèlerins présents n’ont pas manqué de les applaudir.
Qu’avons-nous mangé ce midi ? Vous êtes curieux, mais je vais y répondre. Il s’agit d’une omelette aux ceps. Elle est excellente, goûteuse à souhait, bien garnie de champignons cueillis le matin même. Arrosée d’un bon vin de Navarre local. Il fallait venir…
Avant d’arriver à la fin de notre étape, il fallait passer à La Magdeleine, une petite chapelle qui m’avait marqué l’an passé. J’espérais faire une surprise à Alain. Lui qui aime la musique des mots, lui proposer de déclamer un texte du poète Djalâl ad Dîn Rûmî qu’il apprécie, texte découvert l’an dernier[1]. Hélas, il avait disparu. Ce n’est pas grave, il en déclama un autre pour notre plus grand plaisir. Chacun y trouva le sien pour son plaisir.
Nous arrivons à la porte de Saint-Jacques, la porte des pèlerins de Saint-Jean. Le quatuor est réuni pour la photo de groupe. Nous descendons ensuite la rue de la Citadelle, au milieu de nombreux touristes.
La citadelle fut modifiée suivant les instructions de Vauban[2] qui l'inspecta en 1680 et 1685. Il agrandit de façon importante la première citadelle établie par l’ingénieur Desjardins, au milieu du XVIIe siècle. Il fit preuve d’une grande capacité d’adaptation au terrain, car les dimensions étaient restreintes : 600 mètres de longueur, 150 mètres de largeur.
Nous passons au bureau des pèlerins afin que Bruno et Djam récupèrent la documentation nécessaire sur le Camino Frances. Nous nous rendons pour notre dernière soirée commune vers le gîte Kaserna, le gîte paroissial géré par l’ami Jean-Claude. Nous y sommes bien reçus, les hospitaliers faisant de leur mieux pour rendre notre séjour agréable.
Le soir, excursion en ville pour fêter notre séparation. Bizarre allez-vous peut-être penser ? Eh bien non. Chacun doit reprendre sa route sur des chemins différents. Le destin nous a réunis, et peut-être que nous nous croiserons de nouveau quand le moment sera venu.
Ah ! Au fait, j’ai coupé ma barbe de plus de quarante jours ! Ne soyez pas étonné si j’ai changé de tête (sourires). Un nouveau départ ?
Le lendemain matin, nous nous levons tôt. Je tiens à accompagner Bruno et Djam sur la route de Roncevaux. Il est de tradition compagnonnique de faire la conduite jusqu’aux portes de la cité. Ici, pas de musique ni de tambourin, juste notre présence. Par contre, je ne ferais rien pour les retenir. À chacun son destin.
Bruno, fidèle à sa mission confiée m’envoya un SMS pour me dire qu’à la Vierge d’Orisson, située à 1 100 mètres d’altitude, il n’y avait pas d'oripeaux. Par contre, à la Croix-Thibaud, il dut en retirer un grand nombre laissé par les pèlerins à la manière bouddhiste. Il laissa par contre les chaussures. Cela peut servir à quelqu’un.
À midi, j’ai mangé avec Alain qui rentre chez lui par un covoiturage.
Le soir, Jean-Claude est venu me chercher pour m’emmener à Irún. Quand il a eu vent de mon souhait, il s’est proposé spontanément pour m’accompagner. C’est une bonne nouvelle, car les trois étapes nécessaires pour rejoindre Irún à pied auraient remis en cause mon cheminement à Fisterra et Muxia en fin de parcours. Au pire, j’aurais rejoint Bayonne, Hendaye et Irún en train. La proposition amicale de Jean-Claude fut la bienvenue.
C’est un grand détour d’une centaine de kilomètres de manière. Il le fit de manière désintéressée. Je crois beaucoup en l’amitié vraie, celle qui se déclenche sans qu’on s’y attende, à des moments-clés de notre vie.
Pourtant, alors que nous parlions du passé, lors des événements de mai 1968 (oui, je sais, cela fait un peu guerre de 14, mais bon…), nous étions face à face. Peut-être même qu’à cette époque, il m’a donné un coup de matraque pour me faire rentrer dans le rang. Allez savoir ! Le temps est passé, j’étais jeune, utopique, et Jean-Claude faisait son métier.
À Irún, le gîte prévu a changé de destination. Il accueille des jeunes en difficulté. In extrémis, j’ai trouvé une place à celui situé près de la gare. Sinon, j’aurais dormi en sous-sol, dans un garage. Comme il est tard, nous partageons le repas du soir dans un petit restaurant. J’y fais la connaissance de trois Français que je retrouverai sur le Chemin.
Avant de partir, Jean-Claude me remet la crédentiale éditée par son association avec cette mention « Bon Chemin, mon ami », ainsi que deux euros. C’est une tradition quand il accompagne un pèlerin. Cette pièce doit servir à téléphoner en cas de difficulté. Si tout se passe bien, elle sert à boire un verre à Santiago. Tout un symbole, tout est symbole.
Il est presque minuit plein quand je m’endors difficilement dans une chambrée surchauffée.
À demain, sur le Camino del Norte - Alain, Bourguignon la Passion.
[1] En voici En voici la teneur : « Mon cœur est devenu coupable / d’accueillit toute forme. / Il est le pâturage pour la gazelle / et abbaye pour le moine ! / Il est un temple pour idoles / et la Kaaba pour qui en fait le tout. / Il est les tables de la Thora, / et aussi les feuillets du Coran. / La religion que je professe / est celle de l’Amour. / L’Amour est ma religion / et ma foi. »
[2] Alain Lequien, Vauban le bourguignon, éditions de Bourgogne. Biographie de Vauban.