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Publié par Alain Lequien

   Le réveil fut un peu difficile, le moindre bruit faisant sursauter les uns et les autres, surtout les ronflements. C’est ainsi, il faut s'y faire, et accepter les conditions données surtout lorsque la participation est donativo.

   Notre moine hospitalier, que nous avons entendu chanter aux complies vers 22h00 avec les autres moines et deux jeunes en formation, est venu nous apporter notre petit-déjeuner fait de café, pain et confitures locales. Il y en avait à peine pour tout le monde. Nous savons que les moines mangent peu, nous sommes donc à leur diapason.

   J’ai pris la route en premier, aux environs de 7h30. Je me dis qu’il faut vraiment avoir envie de se retirer du monde pour résider ici. Il pleuviote comme si nous étions en plein automne, une de ces petites pluies qui vous transperce en vous laissant une sensation de froid que rien ne semble capable de réchauffer. Je vais attendre plus d’une heure pour voir le messire soleil daigner montrer le bout de son nez. Il apparaît, puis disparait en se cachant parfois derrière les arbres.

Le chemin en forêt est parfois agréable, parfois raviné par la pluie entrainant la présence de nombreux ruisselets traversant le chemin. Cela ne facilite pas la marche.

   Personne sur le chemin, pas âme qui vive, hormis de temps à autre des bruits dans les fourrés  (peut-être un animal sauvage ou vagabond) ou le battement d’ailes d’un oiseau, d’un rapace à la recherche d’une proie. Seul le son de mon bâton et des flipflaps de mes sandales dans la boue vient perturber le silence matinal des habitants de la forêt.

   Et que dire, mesdames et messieurs, de ces odeurs venant caresser mes narines : celles de la rosée du matin, de la décomposition des feuilles mortes ou même des arbres.

   J’aime ces moments de solitude où les bruits de la vie humaine sont absents. La nature est bien maitresse chez elle. Rien ne vient la perturber même pas la marche du cheminant.

   Les perturbations de la pluie, les descentes dans des chemins pierreux creux pentus où s’écoule l’eau rendent le cheminement dangereux. Je dois faire attention, car à tout instant je peux me tordre les pieds. C’en sera fini de mon aventure à cause de mon inattention.

   Le passage dans certains champs est aussi désopilant. Mes sandales s’enfoncent dans des traces de tracteurs ou dans un terrain ravagé par le piétinement des animaux de ferme. Bref, un moment peu propice à l’introspection.

   Les chemins boueux font place à la route et aux pistes cimentées. Si je gagne au change en matière de salubrité, ces pistes ne sont pas si agréables que cela avec leurs stries permettant d’évacuer la pluie. Les hameaux et villages s’enchainent au rythme des kilomètres. Parfois, une seule maison semble habitée, les chiens aboyant à mon passage.

  

J’arrive au pont d’Arzubi recouvert de feuillage marquant la frontière entre les villes de Gernika et de Gerrikaitz. J'entame la longue descente vers la cité martyre de Gernika-Lumo (Guernica) rendue malheureusement célèbre par le bombardement du 26 avril 1937 effectué par la Légion Condor allemande à la demande de Franco. Il fit deux mille victimes, chiffre contesté par des historiens.

   Pablo Picasso a peint l'horreur de cet événement dans son tableau Guernica exposé au pavillon de l'Exposition universelle de 1937 à Paris. Il disait que « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi ». L’original est exposé depuis 1981 au Musée de la Reine Sofia à Madrid. En effet, se trouvant aux États-Unis, Picasso avait refusé que son œuvre soit exposée en Espagne tant que celle-ci serait sous le joug de la dictature franquiste (Franco meurt en 1975). Une reproduction murale en céramique de cette œuvre exposée en ville nous rappelle ce drame.

   Passage obligé à l’Arbre de Guernica, le chêne emblématique de Biscaye. Il est surtout connu comme symbole des libertés traditionnelles des Biscayens, et par extension des Basques. Les seigneurs de Biscaye, les rois de Castille et d'Espagne, les présidents de la Communauté autonome du Pays basque, y ont prêté serment lors de leur prise de fonction. L’arbre actuel date de 2005. Il est l’un des rejetons en quatrième niveau du Vieil Arbre datant du XIVe siècle.

   L’accueil est très mitigé à l’office du tourisme qui n'a pas l'air d'apprécier les pèlerins. Une mauvaise réputation ? Je quitte sans regret cette cité (la cathédrale est bien sûr fermée) pour me diriger vers la montagne. Je profite d’un beau parc pour manger un morceau sous les yeux étonnés de plusieurs enfants. Les pèlerins ne doivent pas être nombreux ici ?

   Alors que je traverse des cités aux immeubles uniformes, un ressortissant belge en camping-car Mercedes s’arrête à ma hauteur. Il me propose une boisson fraiche et veut m’interroger sur le Camino à la demande de sa grande fille. J’accepte l’invitation. Pendant un bon quart d’heure, les questions fusent, la jeune fille ayant l’intention de le parcourir. L’entrevue se termine par la prise d’une photo sur son iPad.

   Ce petit intermède fut bénéfique, mais il est temps de repartir. Le soleil commence à taper en ce début d’après-midi. On est loin du crachin du matin. Il me faut gravir le célèbre col de Gerekiz long de plusieurs kilomètres, puis trouver l’albergue vantée par un pèlerin à Eskerika. Il me faudra plus de trois heures pour parcourir ces dix kilomètres. Non loin de l’albergue, alors qu'il me donne de l'eau, un paysan m’explique qu’il plante des eucalyptus, car cela rapporte. Et il fait le geste adéquat avec ses doigts. Sur ce sol rugueux, il a une centaine de pieds à mettre en terre. Sous le cagnard, bon courage !

   Quand j’arrive à l’albergue, je suis seul et le tenancier me propose la demi-pension. J’accepte, je n’ai quasiment plus rien dans mon sac. J’ai surtout envie de m’allonger et de me reposer après avoir fait la lessive.

   À 20h00 sonnante, je suis servi. Après un repas moyen, je rejoins ma couche. C’est alors qu’arrive un Allemand accompagné de son fils. Le tenancier dit qu’il est trop tard pour avoir un repas complet. Pas très sympathique ! Aussi, ils devront se contenter du minimum.

   Il est plus de 23h00 quand  le silence s’installe, et que la lumière s’éteint.

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.

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