Étape 52 : Eskerika (PBasq.) à Bilbao (PBasq.) – 22 km (1346 km)
À mon réveil vers 6h00, je constate que j’ai une série de messages sur mon téléphone provenant de la famille et d’amis me demandant où je me trouve actuellement sur le Chemin de Compostelle. L’un d’eux va un peu plus loin puisqu’il m’annonce qu’il y a eu un accident de train à Santiago (Saint-Jacques) sans plus de détail. Un des messages m’interpelle. Il s’agit d’une journaliste d’Europe 1 me demandant de la rappeler dès que possible.
Je n’avais pas fait le rapprochement – il est vrai qu’on me prend au saut du lit – entre cet appel et l’accident cité précédemment. Sans me donner de détail, elle se propose de me rappeler en me demandant mon accord pour apporter un témoignage sur l’accident ferroviaire dont je n’ai aucune idée de l’ampleur à ce moment-là.
C’est ainsi qu’elle va enregistrer mon « témoignage », celui d’un pèlerin sur son cheminement qui apprend progressivement l’ampleur du désastre. Il s’agirait, selon ses dires, en majorité de pèlerins (ce qui sera démenti ensuite). Elle veut savoir comment peut réagir un homme en recherche sur la route. Bien sûr, je suis effondré. Je pense d'abord à tous, ces femmes et ces hommes partis pour réaliser un rêve en cheminant vers le champ des Étoiles, comme le dirait Henri Vincenot.
Un extrait de cette interview passa à plusieurs reprises sur l’antenne, ce qui me valut de nouveaux messages de sympathie de quelques amis. Naturellement, vers 7h00, j’appelle ma Pauline chérie pour l’informer sur mon état physique (elle n’était pas encore au courant) ainsi que mon ami, Jacques R. qui a pour mission de transmettre mon appel à notre liste d’amis communs.
Il va sans dire que durant cette journée, cet événement reste à mon esprit même si je dois continuer à cheminer. Il en est ainsi de la vie qui passe. Par moment, l’émotion se cristallise dans mon esprit, je ne peux empêcher les larmes d'envahir mes yeux.
Cette journée qui a si mal commencé continue avec la présence d’un brouillard épais empêchant le soleil de percer et de nous faire bénéficier de ses rayons bienfaisants. Les paysages se déroulent au fil des kilomètres. Mais aujourd’hui, je regarde moins autour de moi, me contentant de les voir défiler d’un pas lent comme pour digérer la mauvaise nouvelle. En croisant les regards de certains autochtones, je lis à quel point ils sont touchés par cette catastrophe nationale. À ce moment-là, on annonce plus de soixante-dix-sept morts.
Sur le chemin, au croisement de routes, je découvre une croix où, d’un côté apparaît le Christ, de l’autre la Vierge Marie. À Lezama, je m’arrête près de l’église du XIIIe siècle de Santa María pour manger sous le porche attenant sur une table de pierre. C’est là que je vais rédiger le message que j’ai posté à l’intention de ceux qui suivent mon blog. Je les en remercie, car pour eux, j’ai une sorte d’engagement moral de continuer ce cheminement.
J’arrive au-dessus de Bilbao, la capitale de la province de Biscaye. Je n’ai quasiment rencontré aucun pèlerin avec qui parler de cet accident. C’est peut-être bien en soi, mais verbaliser à ce moment-là aurait pu m’aider. La ville s’étale à mes pieds dans ce grand parc où de nombreuses familles pique-niquent ou jouent sur des tables de ping-pong en béton.
J’arrive devant une imposante église où la messe vient de se terminer. Je suis un voyageur et mon accoutrement détonne avec tous ces gens bien vêtus. Je salue le prêtre qui serre les mains à la sortie. Il détourne les yeux, tout simplement. Je ne suis pas de sa clientèle. J’ai juste le temps de prendre une photo de la Vierge à l’enfant que déjà, une femme s’approche de moi et me demande de faire vite et de sortir. L’église va fermer certes, mais on n’est pas aux pièces quand même…
Je descends vers le centre-ville par un long escalier comportant des paliers. C’est la foule. Quand je demande mon chemin, un jeune homme m’accompagne « pour que je ne me perde pas » me dit-il dans un français hésitant. Je le remercie bien entendu. Je passe devant le musée Guggenheim dont je prends la photo de la verrière avec une vue côté ville. J’aurais aimé le visiter, mais je n’ai pas suffisamment le moral pour cela. Peut-être ai-je eu tort ? Je traverse le pont, et je peux admirer cette vue de l'autre côté du fleuve. La modernité (le musée) cohabite très bien avec la tradition (la cathédrale). Celle-ci est bien entendu fermée à cette heure-ci.
Je cherche un lieu pour manger. Je me décide finalement pour un restaurant rapide marocain. Je suis étonné de voir le nombre important de personnes appartenant à de multiples communautés. Dans le restaurant, la télévision passe en boucle l’accident ferroviaire. C’est de nouveau pour moi le retour à cette réalité. J'en discute un peu en français avec mon serveur. Il m’est apparu aussi touché par ce drame.
Je recherche l’albergue municipale se trouvant sur les hauteurs de la ville. En chemin, un vieux monsieur m’offre un petit bonbon rose. C’est peut-être pour lui une manière de saluer les pèlerins ? Allez savoir. Je rencontre Marco l'Italien déjà croisé à plusieurs reprises, notamment au monastère précédent. Il a trouvé une albergue privée, le Bilbao Hostel, dans un immeuble possédant des chambres de six lits. La demi-pension (lit, douche, petit-déjeuner, diner) coûte vingt-quatre euros.
Cela me va bien, car je n’ai pas envie de retourner en ville ou de faire de cuisine. Il me déconseille la première albergue se trouvant en route : elle est bruyante et peu amène même si elle est donativo.
Après ma douche et avoir lavé mon linge du jour, je me repose, puis travaille un peu sur la rédaction de mon ouvrage en cours.
Aujourd’hui, il y a trop d’émotions. Dans cette chambre confortable (nous n’étions que trois), je vais passer une nuit calme. Demain sera un autre jour.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.