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Publié par Alain Lequien

   Aujourd’hui, je fais une relative grasse matinée en partant à 7h30. J’ai eu des difficultés à dormir, avec plusieurs réveils dans la nuit avec en final, un mal au crâne lancinant. Pourtant, le refuge est confortable. Je n’ai pas regardé si Charles était encore là, il dormait dans une autre chambre. Nous avions prévu de ne pas nous attendre, chacun gardant son propre rythme. C’est d’autant plus nécessaire qu’une partie du parcours va se dérouler avec de fortes montées.

   Si j’étais relativement vaillant au début de mon cheminement, bien que… maintenant il en est autrement au bout de presque 1 600 kilomètres de marche. Je ressens la fatigue bien entendu même si je suis toujours aussi surpris de mes capacités humaines de récupération. Mais aussi moralement.

En effet, plus je me rapproche de Santiago, plus je prends conscience que cette aventure d’exception d’un peu plus de deux mois va bientôt se terminer. C’est ainsi…    

   Je pars donc seul vers Las Herrerias (Les Forges). Peu après, à La Portela de Valcarce, un maître Jacques me fait un signe prometteur. Un peu plus loin, une toute petite église ne payant pas de mine attire mon attention. J’y rencontre un Italien de Lecco avec qui j’ai déjà échangé. Cela fait plusieurs fois que nous nous recueillons dans les mêmes églises. En marchant, mon esprit est toujours pris par des sujets que certains classeraient comme de la philosophie. Aujourd’hui, ce sont les devoirs de l’homme envers lui-même et ceux qu’il aime. C’est l’avantage d’être seul et de ne pas être obligé de répondre à un interlocuteur.

   Je rejoins Vega de Valcarce à 600 mètres d’altitude, en longeant plus ou moins le Rio Valcarce. Charles m’y rejoint. Il s’est levé une heure plus tard que moi et a marché rapidement pour me rejoindre. On peut y découvrir les ruines du Château de Sarracín, construit au IXe siècle par les Maures. Ainsi que ponts romains.

   Nous entamons ensemble la petite montée de Ruitelán, puis celle de Las Herrerías qui nous fait gagner cent mètres de dénivelé. Nous nous y reposons quelque temps.

   La montée vers La Faba (900 mètres), puis vers La Laguna va nous faire passer de 700 à 1 200 mètres d’altitude, soit 600 mètres de dénivelé en moins de six kilomètres. Mes amis savoyards doivent sourire, mais le faire avec un sac de douze kilos sous le cagnard qui frôle les quarante degrés, il faut être un peu déjanté. D’ailleurs, très justement, les habitants font la sieste à notre arrivée. Je les comprends.  

La Laguna est de dernier village de Castille-et-León. Nous allons bientôt passer en Galice.

   Charles a pris son envol, il est plus jeune. Je monte à mon rythme de sénateur, régulièrement, me faisant doubler une famille d’Italiens. Les deux jeunes garçons d’une quinzaine d’années vont alors jouer avec moi, faisant une sorte de course jusqu’à O Cebreiro. Parfois, ils me dépassent, parfois, c’est le contraire. Ils ne terminent qu’à une dizaine de mètres devant moi. En se retournant, ils me firent un grand bravo. J’avoue humblement que cela m’a réchauffé le cœur. Le vieux a encore de la ressource.  Pour les remercier, je les prends en photo sur leur appareil.

   En route, je rencontre un groupe de vaches descendant la pente accompagné du vacher et de deux chiens. L’une des vaches, curieuse, s’approcha de moi pour sentir ce qu’est un pèlerin en sueur. Le paysage est magnifique, grandiose.

   Après la Laguna, il reste 130 mètres de dénivelé pour atteindre O Cebreiro. Dans la montée, je passe en Galice, la frontière étant marquée par une borne particulièrement colorée. Je fais des photos pour des Belges flamands que je reverrais plus tard. En échange, elles me prennent en photo.

   À O Cebreiro, à 1 350 mètres d’altitude, je me rends à l’église Sainte-Marie-du-Mont-Cebreiro (Santa María la Real) du monastère tenu par des Frères Franciscains[2]. C’est au XIe siècle qu’un hôpital pour pèlerins fut créé par des moines bénédictins venus de l'abbaye Saint Géraud d'Aurillac.

   Ici se déroula le miracle du Saint Graal de Galice qui fait partie de la tradition du pèlerinage de Compostelle.

   L'histoire se déroule au XIIIe siècle. Au cours d'un hiver particulièrement rude, alors que la neige ensevelissait le Cebreiro et que le vent cloîtrait chez eux les habitants, un paysan des environs, du nom de Juan Santín, voulut à tout prix se rendre à la messe à laquelle il avait coutume d'assister tous les jours.

Il faillit périr en chemin et arriva exténué à l’église.

En le voyant, le prêtre pensa : « Qui vient, par une si grande tempête, se fatiguer pour venir voir seulement un peu de pain et de vin ! » Au même instant, l'hostie se changea en chair et le vin en sang. Depuis lors, on conserve le calice et la patène au lieu du miracle, ainsi que les saintes espèces.

   Je passe donc un moment de recueillement. Je suis rejoint sur mon banc par un ecclésiastique d’un certain âge, barbu. À voix basse, nous échangeons en français sur le fait qu’il ressent peu la spiritualité des visiteurs. Il regrette que certains ne viennent y chercher que le tampon de la crédentiale, et que d’autres, comme touristes sans respecter le lieu en riant parfois dans l’église.

Très simplement, je lui réponds que c’est cela le Camino, un mélange subtil de spiritualité, de tourisme pas cher, de compétitivité, en bref un condensé de la vie humaine. Il approuva mon approche. Contre toute attente, alors que je ne demandais rien, il m’a béni en me souhaitant le traditionnel Bon Camino. J’ai accepté son geste comme un cadeau. Je suis resté plus d’une demi-heure en ce lieu.

   Je profite de mon passage pour m’attarder sur des habitations au toit de paille de seigle cousu avec des liens de genêts, appelées pallozas. C'est un habitat très ancien de la Galice dont on ignore les origines exactes.

   Je cherche Charles, car il était plus ou moins convenu que l’on se retrouve ici. Comme je ne le trouve pas, je repars. Je le découvre un kilomètre plus loin en train de manger en admirant la beauté de la montagne environnante. Il n’a pas voulu rester parmi les touristes. Il est vrai que le lieu était très commerçant. Je profite du moment pour manger à mon tour.

   Puis, nous repartons. Deux kilomètres plus loin, je m’aperçois que j’ai perdu mon téléphone. Panique à bord, je dois refaire le parcours en sens inverse. Charles se propose de m’accompagner, geste que j’apprécie à sa juste valeur.   

En passant, nous demandons aux pèlerins descendant vers Liñares s’ils l’ont aperçu en route. Nada, rien ! Finalement, pour aller plus vite, Charles m’attend à l’ombre pour garder mon sac à dos. Je peux aller ainsi plus rapidement au lieu où nous nous sommes arrêtés. En arrivant, je le découvre planté au milieu de l’herbe où nous étions assis.

   Je fais un grand ouf de soulagement en retrouvant mon BlackBerry. En revenant, je promets une grande cerveza à mon compagnon de route. C’est donc la descente vers Liñares, notre objectif étant d’atteindre Alto do Poio, où un refuge à 1330 mètres d’altitude nous attend.

   En passant, nouvelle statue géante de maître Jacques où Charles prend la pose. À notre arrivée, le refuge attendu est plein. Il en reste un second pour huit euros la nuit.

   Charles ne veut pas rester et refuse mon offre de participer. Son but est de dormir en montagne pour admirer les étoiles. Je ne peux le suivre dans son envie, car il fait trop froid la nuit. Après la grande cerveza, il s’éloigne vers sa destinée.

   Ce soir-là, pas question de tapoter sur l’ordinateur, je suis fatigué. Après un plat rapide, je me mets dans mon sac de couchage. Je m’endors rapidement.  

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.

 

[1] Gal. = Galice.

[2] François d’Assise aurait pérégriné jusqu’à Saint-Jacques en 1212 ou 1214, avant de se rendre au Maroc. Il aurait guéri un enfant à Logroño (Espagne) où le père du miraculé aurait fondé le couvent des franciscains.

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