Étape 59 : Santillana del Mar (Cant.) à San Vincente de la Barquera (Cant.) – 34 km (1535 km)
La nuit fut fraîche et bruyante. Non seulement quelques pèlerins jouèrent de la guitare (cela me rappelle les temps anciens où nous jouions sur la plage autour d’un feu), mais derrière le camping, d’autres jeunes parlaient à voix particulièrement forte. Quelquefois, nos amis espagnols surtout les jeunes ne savent pas modérer leur voix. Il faut l’accepter, c’est le Chemin comme nous le disons de plus en plus pour tenter d’expliquer l’inexplicable.
Quant au bungalow, le lit superposé à trois étages se révèle confortable, sans plus. Toutefois, pas moyen de se préparer un petit thé chaud. Miguel ronfle fort, Margareth va être la première à partir vers 5h30. Quant à moi, il est 6h30 quand je décolle, le soleil n’a pas encore fait son apparition.
Au loin, j’aperçois un couple marchant rapidement. Pour l’instant, ce n’est que de la route vallonnée traversant des champs de culture. En traversant le village d’Oreña, je découvre d’étranges tours qui s’alignent, dont je ne connais pas la destination : tour de stockage ? Reste ancien ? À étudier.
Au bout de trois kilomètres, le soleil daigne faire son apparition. Dieu sait qu’il est alors dans toute sa splendeur. En passant, un élevage de lamas.
Du moins, c’est ainsi que je désigne ces étranges animaux venus d’un autre continent dont la tête me rappelle un héros célèbre. Quelques centaines de mètres plus loin, perché sur son tertre, un ermitage se détache dans toute sa grandeur. Bien sûr, à cette heure matinale, je ne vais pas demander que l’on m’ouvre les portes.
Dans le centre d’un petit village, je découvre une belle et petite chapelle qui vaut certainement le détour si l’heure n’était pas si matinale. En traversant un pont qui surplombe une route nationale, j’aperçois Patrick qui paraît à la peine. La veille, il m’avait dit à quel point il souffrait des pieds. Venu de Gantz (Autriche) à pied, il doit éprouver ses deux mille kilomètres parcourus. Il doit passer dans une pharmacie prendre des antibiotiques afin de traiter son inflammation plantaire. Par signes, il me fait comprendre qu’il continue par la route jusqu’à la prochaine ville.
La chaleur remonte de l’asphalte. Je traverse une vallée un peu plus sauvage, et je tombe sur un couple d’amoureux qui ont l’air de s’apprécier, l’âne noir et son ânesse blanche. Toujours le sombre et le blanc qui semble s’accorder dans l’unité.
En traversant Cigüenza, des enfants proposent café, thé, tortillas… Je m’y arrête pour boire mon premier café du jour et manger un morceau. J’y fais connaissance d’un Allemand avec qui je vais marcher quelques centaines de mètres.
Il semble pressé, ce qui n’est pas mon cas. Si parfois il faut aller vite lorsque les lieux ne nous parlent pas, au contraire il faut savoir flâner pour déguster ce qui nous entoure.
C’est le cas devant une église imposante dans un si petit village dédié à Saint-Martin de Tours. Elle fut bâtie grâce à la fortune d’un personnage local ayant fait fortune au Pérou. Au travers les grilles des petits ermitages qui jalonnent le chemin, on aperçoit des statues entourées de fleurs (on y apporte une grande attention), de lumières ou de bougies. Cette présence symbolise le sacré en ces lieux.
De loin, j’aperçois une église néogothique très colorée datant de la fin du XIXe siècle. Arrivé à Cóbreces je découvre l’église paroissiale de San Pedro Ad Vincula bâtie au début du XXe siècle dont on peut admirer les couleurs pastel. C’est au sein du monastère cistercien de Santa Maria de Viaceli que se trouve l’albergue annoncée par le pèlerin en tôle. Ce qui est certain, c’est que le site vaut l’arrêt, et qu'il a la réputation d'être accueillant. Pour l’histoire, durant la guerre civile de 1936, la communauté fut conduite en prison et le monastère abandonné et en partie pillé. Dix-sept religieux disparurent.
Il ne faut pas traîner, car l’heure tourne. Montées, descentes, chemins de terre, asphalte, les kilomètres s’enchainent ainsi que les villages et hameaux : La Iglesia, Ruiloba, Pando, Concha. Parfois, on fait des découvertes étonnantes comme la présence en pleine rue d’une fresque murale d’un grand goût artistique. Dans un ermitage (il y en a tant), je n’ai pu résister à photographier un vitrail moderne très expressif.
Comme souvent dans les contrées rurales, il y a des chiens qui aboient, des chats qui parfois s’enfuient à mon arrivée ou d’autres au contraire qui vous regardent en passant, blasés. Sans oublier les chèvres, les ânes… Ah ! Si tous ces animaux savaient exprimer ce qu’ils pensent, ils en raconteraient des histoires de pèlerins. Et puis, un étrange arbre dont les branches sont soutenues par des étais. Un nouveau style de véranda ?
Arrivée à Comillas, une cité rendue célèbre par une légende jacquaire. Un cavalier suivait le corps de saint Jacques que ses disciples ramenaient de Jérusalem. Lorsqu’il voulut franchir le bras de mer pénétrant à l’intérieur des terres, il ne trouva pas de passage. Malgré tout, ils entrèrent dans l’eau et ressortirent indemnes de l’autre côté. Leurs corps étaient recouverts de coquilles (de saint Jacques, bien sûr !).
En centre-ville, l’église paroissiale possède une belle Vierge à l’enfant. Mais ce qui attire l’œil de cette station balnéaire, c’est le Palacio de Sobrellano, le palais d'été du premier Marquis de Comillas. Sans oublier tout près de là du Caprice de Gaudí, la maison construite sur les plans de l’architecte de Sagrada Família de Barcelone. Sa façade remarquable est constituée de briques ornées agrémentées de lignes de céramique décorée.
Dans le parc, je retrouve Patrick passé à la pharmacie. Il a un traitement de dix jours qui n’est pas sans me rappeler le mien. Nous décidons de continuer ensemble. Nous rejoignons Sybille, une Allemande portant sa guitare. Notre petit groupe prend la direction de San Vicente.
En route, il y a parfois des étrangetés comme cet arbre poussant au sommet d’un ermitage en ruine.
Douze kilomètres plus tard, nous arrivons enfin au terme de notre étape du jour en franchissant le pont de la Maza aux 28 arches sur l’estuaire et les marécages du Rubin. Nous longeons La Playona pour atteindre le centre de la cité entourée de remparts. Cet ancien village de pêcheurs comptait au Moyen âge trois hôpitaux de pèlerins, ce qui prouve à quel point le lieu était d’importance pour le cheminement vers Oviedo et Compostelle.
Direction de l’albergue El Galeón connue et réputée dans le monde des pèlerins. C’est loin d’être un lieu idyllique, mais il y a de l’ambiance. Pour treize euros, on est en demi-pension. Lorsque nous arrivons, nous bénéficions des dernières places. La faute à un groupe d’une dizaine de cyclistes prenant la place de marcheurs. Il est pourtant de tradition bien marquée que les pèlerins marcheurs soient prioritaires. Il faut croire que par gentillesse ou faiblesse, l’hospitalier du jour n’applique pas cette règle morale au détriment de certains de nos compagnons de voyage renvoyé vers des pensions plus chères.
Installé, je profite du lieu pour parcourir les remparts et visiter l’imposante église gothique de Santa María de los Ángeles construite vers le XIIIe siècle, agrandie aux XV et XVIe siècles. Elle garde deux portails romans provenant de l’église initiale. Si la cité porte le nom de San Vicente, c’est bien la Vierge vénérée par les pêcheurs qui est mise en exergue notamment lors de la Fête de la Folía. Sur un petit promontoire se trouve la chapelle commémorant une légende contant qu’elle serait arrivée au village dans une barque sans équipage, ni rames et voile…
Au gîte, le repas simple et consistant préparé par deux hospitalières est servi à une quarantaine de pèlerins. Comme souvent, c’est une dominante de l’être humain, il y a ceux qui donnent la main comme votre serviteur qui trouve cela normal, et ceux se comportant comme des consommateurs attendant d’être servis. Je me demande parfois si je ne suis pas utopique de croire que l’homme puisse changer, évoluer.
Personnellement, le Chemin représente la remise en cause, l’épurement, le don… Bref, mon petit coup de gueule en fin d’article.
Ce fut une belle journée éprouvante, mais riche de significations, qui se termina avec une excellente glace sur le port. Comme toujours quand on est trop nombreux, il y eut les conversations insignifiantes tard dans la nuit, les téléphones… Bonne nuit...
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.