Étape 66 : La Venta de Escamplero (Ast.) au Monastère San Salvador de Cornellana (Ast.) – 25 km (1725 km)
J’ai mal dormi, mais ce n’est pas bien grave, car la distance à parcourir pour arriver au monastère San Salvador de Cornellana est modérée.
Je prends le départ seul vers 7h00. Je sais que mes compagnons de voyage comme Mélanie, Anders ou Mathieu marchent plus vite que moi. J’ai une excuse (il faut bien en trouver une), ils sont plus jeunes. Mais, je compense par l’expérience du vieux renard (sourires).
Au début, c’est une succession de petites routes asphaltées, de chemins gravillonnés au milieu d’un vallon hérissé de rochers, de chemins herbeux souples, avec une succession de montées et descentes. Bref, le quotidien du marcheur en moyenne montagne.
Quelques centaines de mètres plus loin, je croise le premier ermitage de la journée bien planté sur son monticule. J’y rejoins une jeune Suisse un peu paumée : elle est arrivée en bus la veille au village et ne comprend pas encore les codes du chemin. Elle a failli partir dans une mauvaise direction la flèche étant peu visible. Je l’ai hélée en criant pour lui indiquer la bonne direction.
Je l’ai retrouvé le soir au monastère. Elle nous indiqua être parvenue jusqu’ici grâce à l’intervention de pèlerins qui l’ont parfois guidée. Je pense qu’elle doit être un peu dans les nuages, car le marquage est de bonne qualité.
Au bout de cinq kilomètres, j’arrive à Premoño et son ermita Santa Ana. Au XVIe siècle, il y avait un hôpital de pèlerins qui accueillait le voyageur fatigué. Il a disparu de nos jours.
Ensuite, j'ai suivi une calzada moderne (chemin repavé à l’ancienne) sur quelques centaines de mètres avant de retrouver un chemin plus souple. Je ne les apprécie pas parce qu’avec mes sandales, je peux me tordre facilement les pieds. De plus, ce n’est pas agréable. En sortant du chemin, je quitte le chemin pour visiter le petit village de Valduno (Valdunu en asturien) possédant des ruines de bains romains. Peu à peu, je me rapproche du Rio Nalón que je vais longer.
J’arrive au village de Peñaflor où je prends un café américain bien chaud au bar près du pont, le temps étant humide et frais. Traversant le pont sur le Rio, je traverse le village qui abritait jadis de nombreux hôpitaux pour les pèlerins venant par le Camino del Norte, le chemin des Anglais. Les dernières chapelles ont disparu au XIXe siècle.
Je prends la direction de Grado, Grau en asturien. J’ai déjà parcouru treize kilomètres sans avoir vu le moindre compagnon de route. « Ils doivent faire la grasse matinée », pensais-je. En fait, j’apprendrai à l’arrivée de l’étape qu’ils m’avaient aperçu de loin lorsque j’ai fait mon détour vers Valduno. Ils avaient pensé que je m’étais trompé de chemin.
À Grado existait au XVIIIe siècle un hôpital de pèlerins. Je l’ai traversé rapidement, car il est trop tôt pour déguster la fabada, une sorte de cassoulet asturien composé de lard, saucisses, haricots et boudin noir. Ce sera pour une autre fois.
Alors que je vais visiter l’église, je tombe sur Mathieu qui déballe ses provisions de bouche sur un banc. Il m’invite à les partager, ce que j’accepte avec plaisir. Il s’est blessé avec son vieil opinel portant des traces de rouille et cela l’inquiète.
Le boucher chez lequel il a acheté le chorizo lui a proposé de le soigner. Finalement, il décide de jeter vieux son couteau dans une poubelle publique.
Après le chorizo-pain, nous allons prendre un café accompagné d’une pâtisserie. Une envie subite… quel gourmand, cet Alain ! Il ne faut pas oublier l’église qui recèle trois Vierges magnifiques dont ma Pauline raffolerait tant elles sont belles et richement décorées.
Vierges de Grado (Asturies).
Nous reprenons le chemin de concert, car il nous reste onze kilomètres à parcourir pour rejoindre l’ancien monastère. Ce fut l’occasion de faire connaissance d’un couple franco-espagnol avec qui nous partagerons le repas du soir.
En chemin, alors que nous montons une côte assez raide vers l’Alto del Fresno, nous croisons un pèlerin et son âne sur le retour vers la France. Engageant la conversation il nous dit être en recherche d’un forgeron pouvant tailler les sabots de son âne et changer ses fers, car il est en souffrance.
Parti depuis plusieurs mois, Joseph est loin de l’humilité de celui qui a voyagé et réfléchi sur lui-même. Il rabroue Mathieu quand celui-ci lui fait des suggestions censées pour trouver un professionnel.
À mon humble avis, c’est un homme restant en révolte. Le Chemin n’a pas porté sur lui tous les fruits attendus. D’ailleurs, avaient-ils des attentes ? À sa décharge, il est depuis longtemps sur la route. Ayant personnellement fréquenté plusieurs centres d’Emmaüs avant d’aller vers Compostelle, Joseph me semble être resté l’un de ceux que nous appelons dans notre jargon un frère de la route en rupture avec la société. Donc, ce que dit un jeunot comme Mathieu ne connaissant rien…
Nous traversons d’autres villages : celui fleuri de San Marcelo, Santa Eulalia de Dóriga en suivant parfois d’étroits chemins. Cela nous amène à Cornellana où nous trouvons l’ancien monastère San Salvador.
Il fut fondé en 1024 par l’infante Christina, fille du roi de Léon Bermude II de León, après la mort de son mari, l'infant Ordoño Ramírez dit l'Aveugle. S'y retirant comme religieuse, elle est enterrée sur place. Il fut confié au XIIe siècle à l’ordre bénédictin de Cluny pour, dans le cadre de la Reconquista de la péninsule ibérique, accueillir des pèlerins se rendant à Compostelle.
Puis, il passa sous la dépendance de la cathédrale d’Oviedo. Lors de la domination française, il fut utilisé comme écuries. Il fut supprimé en 1835 pour devenir une usine à beurre. Drôle de destinée.
Lors de la guerre civile de 1936, le lieu fut utilisé par les deux camps en conflit comme lieu de ravitaillement et comme prison. Même si des travaux de rénovation ont débuté en 1999, il apparait aujourd’hui bien délaissé[1]. L’association jacquaire locale a installé l’albergue pour notre accueil dans les anciens bâtiments conventuels.
Nous pénétrons dans la cour en passant sous la porte de l’Ourse, la Puerta de la Osa, comme le montre la présence de l’animal accompagné d’un enfant. La légende veut « qu’un enfant aurait jadis été enlevé par un monstre qualifié d'osa [ourse]. Après de longues recherches, on les retrouva tous deux dans la forêt, la soi-disante ourse donnant la tétée à l'enfant qui reposait tranquillement dans son pelage hirsute. Le seigneur de Dóriga pour remercier le ciel du miracle fit édifier le monastère et sculpter la scène. »
Pour visiter l’église romane dédiée aujourd’hui à saint Jean le Baptiste, il a fallu attendre l’office de 18h00 auquel nous assistons. Bâtie au XIIe siècle, elle fut restaurée au XVIIe siècle. Mathieu profita du judas d’une porte pour photographier l’ancien cloitre roman à deux étages. Il ne peut être visité pour des raisons de sécurité nous a dit l’hospitalier.
[1] J’y suis repassé depuis. D’importants travaux sont en cours de réalisation.
Pourtant, nous avons pu constater la présence de petits drapeaux dans ce cloitre, preuve qu’il s’y déroule de temps à autre des événements.
Ce n’est pas la première fois que l’on prend à défaut les hospitaliers Espagnols, peu amène à donner accès à des œuvres enrichissantes et symboliques pour notre cheminement. Comme si en profiter serait leur préjudiciable. C’est la vie !
Notre lieu de repos est assez traditionnel : lits superposés sauf qu’ici on ne manque pas de place. On n’est pas les uns sur les autres comme dans d’autres lieux. Tout concourt à rendre le séjour agréable : machine à laver le linge, douches très correctes, cuisine bien aménagée.
Avec Mélanie et Mathieu, nous allons faire les courses en ville. Chacun en fonction de ses compétences participe à la préparation du repas du soir. Nous sommes rejoints par Anders le Basque et le couple franco-espagnol rencontré le matin. Une bonne soirée même si le temps s’est nettement rafraichi.
C’est donc rassasié et heureux que nous rejoignions nos couches vers 22h00.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.