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Publié par Alain Lequien

 

  Ce matin, c’est le départ pour la France. J’ai choisi le train pour rentrer, entre Santiago et Hendaye qui part vers 9h00 du matin, puis le covoiturage jusqu’à Bordeaux. Après mon séjour à Bordeaux, je rejoindrais Dijon par le TGV. Une vingtaine d’heures de voyage en tout, si tout va bien.

   Comme l’albergue est située à environ vingt minutes de la gare, par sécurité je me lève à 7h00. Après une bonne douche et un solide petit-déjeuner, me voici parti à pied. L’accès est assez facile. Vers 8h00, je suis déjà sur place.

   Je dois prendre mon billet, car je n’ai rien réservé. Au comptoir, la préposée qui s’occupe de ma demande est peu amène, c’est le moins que l’on puisse dire.

Elle s’y reprend à deux fois, car elle ne m’avait pas appliqué le tarif pèlerin en poussant des soupirs. Au bas mot, une bonne dizaine avec cette impression d’être pris comme quelqu’un d’ennuyeux. Heureusement, il n’y a pas foule.

   Je me dirige vers le buffet où là, au contraire, il y a beaucoup de monde. Je regarde avec étonnement les voyageurs se bousculer pour être servis les premiers. Je vais attendre plusieurs minutes, mais j’ai le temps, pour me faire servir un café, un croissant et un sandwich pour le voyage. On est loin Camino, déjà dans le monde quotidien.

   Enfin, le train se rendant à Ourense arrive. Dans cette gare, je changerai de train pour celui allant à Hendaye, ma destination. En tout, plus de douze heures de voyage. 

Dans ce train, je vais travailler un peu avec mon ordinateur.  J’entame la conversation en anglais avec ma voisine, une jeune Dominicaine venue s’installer en Espagne. Tout en parlant avec passion de son pays, elle se dit très heureuse d’être maintenant accueillie en Europe. Elle descendit à une station intermédiaire.

   Je remarque un mode de fonctionnement du contrôleur que je trouve intéressant. Il possède une liste avec la destination de chaque voyageur par numéro de place. Avant d’arriver à une station, il vient prévenir individuellement le voyageur concerné pour le prévenir. Une belle notion de service.

   À Ourense, une demi-heure d’attente, le temps de voir se former un nouveau train. Il est presque 11h00, notre arrivée à Hendaye est prévue à 20h30. Au cours de ce long voyage, je fais connaissance de mon voisin de siège, un jeune Basque de vingt-cinq ans portant le prénom d’Aitor. Il est particulièrement heureux d’échanger en français, car il apprécie notre langue et la culture française découverte dans le cadre du projet européen Erasmus à Bruxelles.

   C’est l’occasion de parler de grands auteurs, de peinture, de cinéma. Il m’apprend aussi de nombreuses choses sur la culture basque. De temps à autre, notre conversation cesse pour regarder un film (on nous a remis des écouteurs, et l'on peut regarder les images sur les écrans placés en hauteur au milieu du train) ou de la musique. J’alterne travail sur PC, conversation, film, musique, passage à la voiture-bar tant est si bien que le voyage se déroule sans trop de longueurs. Aitor descend à Irún, ville frontière avec Hendaye.

   Après quelques minutes d’attente, la partie du train où nous sommes traverse la frontière pour nous déposer à Hendaye.

   À l’arrivée à la gare d'Hendaye à 20h30, grosse surprise. Il n’y a aucun train qui fonctionne. Le vide sidéral. C’est ainsi que la douzaine de pèlerins revenant de Compostelle se trouvent bloqués dans la cité balnéaire. De plus, au distributeur automatique de billets, nous constatons que tous les trains prévus pour demain sont complets jusqu’au milieu de l’après-midi. En clair, nous sommes mal partis, pris comme dans une nasse.  

   Une employée de la SNCF nous le confirme : pas de train, pas de bus. Elle nous conseille de prendre un taxi. Je ne sais pas si elle s’est rendu compte de sa réponse : on nous demande deux cent cinquante euros pour aller à Dax et cinq cents euros pour Bordeaux. Une paille, même à plusieurs.    

   Pas de trace d'une albergue[1] non plus, nous sommes en France, à Hendaye, le pèlerin est chose mineure. Ah ! quand les autorités vont-elles comprendre que notre pays devrait mieux s’inscrire dans ce grand itinéraire européen comme nos amis espagnols ? Quant aux hôtels, ils sont pleins, et quand il y a des chambres, c’est très onéreux à cette période de l’année. Bref, une sombre soirée s’annonce. J’ai un grand regret, celui de ne pas avoir choisi le bus Eurolines plus cher certes, mais en l’occurrence plus sûr pour arriver à destination. 

  Au bout d’une demi-heure de palabres, chacun part de son côté pour chercher une solution lui permettant de passer la nuit. Nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain matin vers 7h00 à la gare pour rechercher une éventuelle solution collective.

   Tout le monde se disperse. J’apprendrais que certains se sont entassés dans une chambre d’hôtel. Je fais un autre choix, celui d’aller non loin de la gare près d’un plan d’eau et de voir venir emmitouflé que le temps passe. Il s'agit d'une sorte de parc naturel de la Bidassoa. L’eau s’étant retirée, j’entends des pécheurs parler entre eux. À un moment même, je m’amuse d’entendre (je sais, ce n’est pas bien !) l’un d’eux pester ayant perdu sa canne à pêche. Dans la nuit, je vois plusieurs personnes avec des lampes tentant de la localiser. En vain, semble-t-il ! Le temps passe, rien ne se passe. Pourtant, je crois toujours en ma bonne étoile. Celle-ci va soudain jouer en ma faveur.

   Il est 23h00 lorsque l’idée me vient de revenir vers la gare pour voir si un bar ou un kebab quelconque est encore ouvert. Après tout, même si je dois dormir dehors sur un banc comme un « frère de la route », autant me restaurer pour éviter l’inanition.

   C’est alors qu’en route, je croise Benoit, un jeune Toulousain qui comme moi est en galère. Lui aussi revient de Compostelle. Il ne s’était pas joint à notre premier groupe puisqu’il avait déjà son billet de train pour Toulouse le lendemain. Nous décidons de faire cause commune.

   Ce fut pour moi l’occasion de découvrir un garçon de vingt-neuf ans particulièrement intéressant. Rapidement, par nos échanges, nous nous apercevons que nous sommes sur la même longueur d’onde, en partageant des valeurs communes. Parti de Toulouse, il a effectué pendant près d’un mois le Chemin (le temps de ses congés). S’étant arrêté en route, il espère le terminer l’an prochain. Son engagement en faveur des déshérités me séduit. Souhaitant se consacrer à cette tâche, il était en train de changer de carrière pour devenir infirmier.                  

Après été vers Irún pour trouver à manger – tous les bars sont fermés -, Benoit émet l’idée que nous pourrions manger et dormir du côté de la plage, en centre-ville face à la mer. Comme ce soir est son anniversaire, il trouve que ce serait plutôt fun. Je trouve l’idée séduisante. Après tout, nous avons nos sacs de couchage, et dormir dehors ne pose aucun problème à des pèlerins puisqu’il ne pleut pas.

   Nous nous y dirigeons donc, c’est à quatre  kilomètres environ de la gare. Une paille pour des marcheurs comme nous. Nous trouvons la plage. Comme il y a encore beaucoup de monde pour nous installer, la bonne solution est d’aller se restaurer. Même si nous sommes pèlerins dans l’âme, notre corps réclame des subsides pour alimenter notre énergie. Deux dames sympathiques nous conseillent un bar pas cher où se regroupent de nombreux jeunes.

   Nous y allons. Comme il y a peu de place disponible, nous partageons la table avec Claude, un homme d’une cinquantaine d’années quelque peu aviné. Son discours est peu cohérent. Il se présente comme un théâtreux, professeur ou acteur, parfois comme metteur en scène et ami intime de Léo Ferré… Ayant vu nos coquilles, il nous parle du Chemin de Compostelle. Il le connait, il a lu des milliers d’articles (ouah, courageux le bigre). Il aurait même créé un parcours en sept étapes concernant le Chemin à Chartres. Un vrai connaisseur…

   Nous sourions, bien entendu. Ne vous moquez pas ! C’est un homme de grande ressource, qui a tout vu tout connu, qui sait tout, qui est même capable de décrypter les mystères du Louvre et les signes alchimiques de la Tour Saint-Jacques à Paris. Sans oublier son amitié avec Depardieu et le mystère non résolu de la mort de son fils. Comme je lui parle d’humilité par provocation, il ne comprend pas, nous coupant la parole à tout bout de champ… Bon et encore, je vous la fais courte, il nous a bassiné. Sa chance a été qu’étant encore sous le charme du Chemin, nous ne l’avons pas envoyé balader.

   À la fermeture de l’établissement, vers une heure du matin, nous avons fui littéralement sans nous retourner de peur à ce qu’il s’attache à nos basques. 

   Nous longeons la plage lorsque le serveur du bar qui était parti à son vélo nous attendait sur la bordure d’un quai. Il nous indiqua un lieu sur le boulevard de la mer où nous serions tranquilles, derrière des cabanes en bois, en bout de plage.

   Nous avons trouvé ce lieu facilement. Enveloppés dans notre sac de couchage, durant une bonne heure, nous avons dû subir (c’est le mot) le comportement bruyant de jeunes touristes en goguette, notamment les rires idiots d’une jeune fille. Je passe sur les détails qui n’ont rien d’intéressant, sinon qu’ils ont réduit notre temps de sommeil.

   Vers 5h30 du matin, il a fallu se lever, car Benoit devait prendre son train pour Toulouse à 6h29. En fait, il s’était trompé, c’était 6h59. Ce fut l’occasion de nous laisser du temps pour avoir une courte conversation très intéressante sur des questionnements qu’il a depuis quelque temps en suspens. Notre échange, je l’espère, lui aura fourni l’information nécessaire pour alimenter sa réflexion. Nous eûmes juste de nous dire un au revoir chaleureux, en nous promettant de garder le contact. Il m’envoya d’ailleurs ses coordonnées par SMS.

   Cette rencontre, due au pur hasard dans les conditions décrites – mais le hasard existe-t-il ? – sera-t-il porteur d’une future amitié ? Seul, l’avenir le dira. Cette rencontre fortuite eut-elle un impact sur le déblocage de ma situation ? Allez savoir, les voies du Seigneur sont impénétrables. À l’ouverture du service des billets quelques minutes après son départ, la préposée de la SNCF me proposa un billet pour prendre un train une demi-heure plus tard. Nous nous étions mis en situation négative pour rien à cause d’un distributeur de billets pas très à jour.

   C’est ainsi que je suis arrivé à Bordeaux aux environs de 10h30 pour me rendre à Eysines et accompagner ma très chère mamie Clémence à l’hôpital pour voir notre patriarche, René. Ce dernier ne m’a pas reconnu tout de suite (un début d’Alzheimer). Bien sûr, j’ai maigri. Progressivement, la mémoire lui revint. J’ai passé deux jours avec eux jusqu’au rapatriement de notre René dans la maison familiale. Ouf, cela va mieux pour lui.

   Après, c’est la rentrée vers Dijon. Venue à la gare, elle est passée près de moi sans me reconnaitre. « Je t’ai pris pour un clochard ! ». Cela fait plaisir. (Grands sourires).

   À bientôt, sur un autre chemin. Alain, Bourguignon la Passion.

 

[1] J’apprendrais l’année suivante qu’un bar proposait des chambres.

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