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Publié par Alain Lequien

bourdon-origine.jpg

  Vous l’avez je pense compris, mon cheminement de 77 jours entre Vézelay et Saint-Jacques par la « via Lemovicensis » se situe dans une vision partagée et complémentaire du pèlerin et du Compagnon passant. De fait, je considère que la réalisation de mon compagnon de voyage fait partie intégrante du voyage, à l’image de nos anciens. Voici comment, en Lozère, on décrivait sa préparation[1] : Compagnon-charpentier-du-tour-de-Fran-ce-et-sa-can-copie-1

   « Cueillez le lendemain de la Toussaint une forte branche de sureau que vous aurez soin de ferrer par le bas ; ôtez-en la moelle ; mettez à la place les yeux d'un jeune loup, la langue et le cœur d'un chien, trois lézards verts et trois cœurs d'hirondelle, le tout réduit en poudre par la chaleur du soleil entre deux papiers saupoudrés de salpêtre. Placez par-dessus, dans le cœur du bâton sept feuilles de verveine cueillies la veille de la Saint Jean Baptiste ; puis une pierre de diverses couleurs qui se trouve dans le nid de la huppe ; bouchez ensuite le bout du bâton avec un pommeau de votre fantaisie et soyez assuré que ce bâton vous garantira des brigands, des chiens enragés, des animaux venimeux ou féroces et vous procurera la bienveillance de ceux qui vous logeront ».

fabricatbourdon1 Aujourd’hui, il est possible de l’acquérir ou de la faire fabriquer dans les bois les plus nobles : chêne, frêne, olivier... coupés à la pleine lune et conservés trois ans avant de commencer à le travailler. Le bâton est tourné à la main avant d'être poli à la cire d'abeille. Parfois une coquille ou une devise sont gravée sur son fût, dont la base est renforcée d'une pointe en acier. Le prix demandé avoisine entre 100 à 150 euros. Chez un autre fabriquant, on peut obtenir quelque chose de plus simple pour une vingtaine d’euros.  

 Le hasard ou le destin (allez savoir) va le placer sur mon chemin. Alors que je parcourais les dénivelés du Val Suzon situé au nord de Dijon, afin de me préparer physiquement, le dimanche 19 février 2012, lors de la descente un peu difficile dans un chemin gorgé d’eau, il était là, en travers du chemin et faillit me faire tomber. On aurait dit qu’il m’interpellait en me disant : « prends-moi, je suis celui que tu recherches pour ton pèlerinage ».

Hasard, signe du destin ? Je ne sais pas, mais toujours est-il que tout de suite ce morceau de chêne légèrement tordu, plein de nœuds, à la longueur idéale m’a plu. Il était moche d’aspect, recouvert d’une écorce grise avec des tâches jaunes. Qu’importe! L'important, c’est qu’il soit là, et qu'il me restait à peine deux mois pour transformer ce morceau de chêne de prés d’un mètre cinquante de hauteur, idéal pour ma taille (1,74 mètres).

En chêne ! Eh bien non, cela sera en robinier, ce faux acacia de nos régions.

Et pourtant, il est vrai que le chêne est symbole de force, de sagesse et de beauté, et qu'il représente la puissance et la longévité. Familier de nos forêts, il représente notre attachement à la tradition. Il est investi d’attributions accordées aux spiritualités : voir les druides, qui considéraient le chêne comme le lien de communication entre la terre et le ciel, et qui y collectaient rituellement le gui sacré, le remède ancestral, avec la serpe d’or.  

Je me contenterai de robinier puisque l'acacia m'est connu. Au bout de quelques jours, toute trace d’humidité avait disparu car, de coupe récente, il n’avait pas eu le temps de se gorger d’eau. Une question s’est alors posée à moi : devais-je le conserver tel quel avec son écorce ? Si je n’avais pas de doute pour la retirer à l’endroit où je le prendrais en main, il n’en était pas du reste. Ce questionnement peut paraître un peu bébête à priori, mais je suis parti du principe que nos anciens, pèlerins ou compagnons, ne procédaient peut-être pas à son écorchage. Bien sur, je savais que les Compagnons passant le faisaient car leur canne servait également aux cérémonies. Mais en ce qui concernait les pèlerins, il pouvait en être tout autre. Si le pèlerin partait en accord avec sa famille, ses amis ou parfois le représentant de l’Eglise lui fournissait son bourdon souvent réalisé par un artisan spécialisé. Il était béni lors de sa remise au pèlerin juste avant son départ. Nous ferons de même, Yohan et moi, à notre départ de Vézelay. Mais parfois, à l’image des pèlerins de Jérusalem ou de Babylone, le pèlerin le trouvait au cours du voyage. Dans ce cas, il n’était qu’un moyen matériel de support et de défense, sans contenu symbolique, et de fait restait à l’état brut.

Il était donc clair qu’étant donné ma démarche, je devais travailler sur la réalisation de mon compagnon de marche, tout en restant entre ces deux traditions. Ce que j’ai fait avec enthousiasme, d’abord avec une râpe pour retirer l’écorce, puis ensuite en le perçant avec de la toile émeri pour en retirer les principales aspérités, atténuant les nœuds. Sur le dessus, avec l’aide de Pauline, ma tendre épouse, j’ai percé un trou pour y introduire cette terre de Bourgogne que je mélangerai en partie  avec celle de Santiago de Compostela. Une partie du mélange restera en terre galicienne, la seconde reviendra en Bourgogne comme signe symbolique du voyage.

J'ai ensuite percé deux trous pour y placer mes couleurs.Couleurs dont le symbolisme se trouve en harmonie avec mon cheminement personnel initiatique. 

En premier, le rouge pour symboliser tout à la fois le sang qui circule dans mes veines, mais aussi la réalisation de l’œuvre au rouge alchimique m'amenant à cet amour fraternel que devrait partager tous les hommes. Coté sombre, il est le symbole de nos passions-poisons qui nous empêchent de nous réaliser, et contre lesquels il faut se battre. En fait, ce rouge me réprésente puisque je suis d'abord un passionné.

Ensuite le blanc, symbole de pureté et d'humilité. En échangeant avec le rouleur des Compagnons, celui-ci m'a fait comprendre que dans mon cas, ce blanc devrait symboliser le chemin que je devais parcourir pour être "bien dans mes baskets" et m'accepter comme je suis avec mes défauts et mes qualités. Une vrai leçon, j'ai tant à faire !    

Il s’avére difficile d’utiliser un bâton à bout plat dans la descente des chemins boueux. J'aurais pu épointer le bout de mon bâton, mais celui-ci, au fur et à mesure du cheminement allait immanquablement s'user et s’aplatir. L’idéal est donc de le ferrer ? Pour cela, j’ai utilisé une méthode simple et non coûteuse, certainement assez proche de ce que faisaient nos anciens. A la place d’un morceau de ferraille travaillé par le forgeron, j’ai choisi une vis assez épaisse et solide que j’ai introduite dans un trou préalablement percé au bout du bâton.  Je l'ai vissé sur les trois-quarts de sa longueur pour être certain qu’elle tienne. Puis, je lui ai coupé la tête. Avec une lime, j’ai finalisé en créant une légère pointe. 

Pour réaliser mon pommeau, je suis parti bêtement d’un embout arrondi de tringle à rideau en bois. Sa forme initiale arrondie représente la spiritualité. Au bas du pommeau, j’ai cassé l’arrondi pour faire figurer le carré de la terre. Sur la partie arrondie, j’ai tracé mes signes d’appartenance au « Rév\de la C\ d’Or » à l’O\ de Beaune.

Sur le corps du bourdon, j’ai gravé à l’aide d’un pyrographe mon nom « Bourguignon la Passion » et la mention « Via Lémovicensis 2012 ». Chevalier du travail, je l’ai nourri avec de l’huile de lin, pour faire référence aux moines-chevaliers d’antan, puis terminé sa réalisation en passant de la cire d’abeille pour signifier la recherche de la perfection.

Voilà, je voulais partager avec vous ces quelques lignes de ce compagnon de cheminement aujourd'hui perdu, hélas !

Pour 2015, un nouveau bourdon symbolique est en chantier...

Bourguignon la Passion

Mis à jour en novembre 2014.

 

 

[1] Clara Landry, association de défense des pèlerins.

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