Etape 77– Borres - Los Hospitales - Montefurado - Lago - Berducedo : 30 km (1941 km)
Après une bonne nuit calme, nous rejoignons les autres membres de la French Team à la Casa Hermina pour prendre un petit déjeuner solide. Nous prenons tous les cinq le Chemin des Hospitales, et nous savons, pour avoir échangé entre nous, que ce sera surement l’un des plus beaux panoramas de notre Chemin de cette année. Non sans inquiétude car il faut quand même un engagement physique certain avec un dénivelé positif de 700 mètres. Je vois mes amis Savoyards sourire lorsque je dis cela.
La première partie de trajet s’effectue de nuit, et nous avons le plaisir de découvrir un beau lever de soleil. En peu de temps, nous avalons les premiers kilomètres et atteignons Borres. Il y a déjà du monde sur le Chemin, notamment des pèlerins et marcheurs ayant dormi dans ce petit village d’une centaine d’habitants. Alors que Jean, Damien et Jean-Charles sont partis devant à la suite d’un boutoir de 100 mètres de dénivelé, je décide de rester avec Laurent qui marche lentement en arrière.
Si nécessaire, dans la dure montée, je lui donnerai quelques conseils pour réguler son souffle. Personnellement, je suis en pleine forme.
Nous arrivons au point où le Chemin bifurque. L’embranchement de gauche mène à Pola de Allande (trajet réalisé en 2013), celui de droite aux montagnes de Fonfaraón ou de Los Hospitales. Cette voie est désignée ainsi car, sur les hauteurs, on peut traverser les ruines de deux accueils de pèlerins (Fonfaraon et Valparaiso) fondés vers le XIIIe siècle. Les deux tracés se rejoignent au col de Puerto Palo situé à 14 kilomètres de là. En choisissant ce parcours, nous savons que nous ne trouverons aucune auberge ou lieu habité.
Un kilomètre plus loin environ, nous atteignons La Parodiella. De loin, nous apercevons nos compagnons qui ont déjà attaqué la montée. Elle est impressionnante. Nous sommes dans la Sierra de Palo, un endroit « où les légendes secrètes rapprochent le pèlerin des anciens êtres mythologiques asturiens ». Ici, c’est la terre de l’ancien peuple des pierres, des pierres tracées et taillées.
Première côte raide de 300 mètres de dénivelé sur une distance de trois kilomètres. Je ne sais pas si c’est la force qui nous soutient, toujours est-il que nous le montons assez vite en faisant quelques petites pauses de deux minutes. En fait, nous doublons de nombreux marcheurs, notamment un Japonais qui tente de s’accrocher. Laurent est beaucoup mieux qu’il ne le pensait. Cela préjuge bien pour la suite des évènements.
Petit faux-plat et petite descente de quelques centaines de mètres qui nous amène près d’un hospital en ruines. Nous y rejoignons nos compagnons de la Team. Il ne reste plus grand-chose des bâtiments, seulement des tas de pierres et le marquage des anciens murs. Un peu d’eau car le soleil est très présent, petit arrêt photo et puis l’échange devant la beauté de tout ce qui nous entoure.
Nous repartons ensemble dans une nouvelle grande montée raide de 200 mètres de dénivelé positif sur à peine deux kilomètres parcourus. Nous marchons de pair et arrivons quasiment au point le plus haut de la journée. Damien, surnommé amicalement bip-bip est largement devant. Nous nous tirons un peu la bourre mais je dois céder devant la jeunesse de mon concurrent. On remettra cela, pour le fun…
Je suis en pleine sérénité devant cette vue qui s’offre à mes pieds. Comme nous le savons souvent, il faut savoir mériter l’accès à ces lieux qui ont du sens pour soi. Ce jour, il a fallu faire l’effort de gravir la montagne pour le découvrir et ressentir cette harmonie qui lie l’homme avec la nature.
Nous arrivons aux restes d’un autre hospital. Ici, il reste des bâtiments bâtis en pierres sèches, certainement rénovés, qui sont occupés de nos jours par des bœufs et des chevaux en liberté. Cela n’est pas sans me faire penser aux pottoks, ces petits chevaux basques semi-sauvages que l’on rencontre dans la montagne après Saint-Jean-Pied-de-Port. De fait, ils sont devenus les véritables propriétaires de l'endroit.
Après ces passages éprouvants (sans difficultés si vous êtes entrainés, mes amis), le chemin devient plus simple puisqu’il faut entamer la descente qui nous mène jusqu’au col de La Marta. Nous y faisons halte pour manger un morceau. Il est à peine dix heures du matin, et la journée est déjà riche pour les émotions et les yeux. La descente est agréable, nous doublons une bonne dizaine de marcheurs peu habitués à la descente rapide.
C’est maintenant l’arrivée au Puerto del Palo, point de jonction avec le Chemin officiel venant de Pola de Allande. Oui, il fallait la faire cette variante d’une très grande richesse tant dans la beauté des paysages qu’émotionnellement. C’est véritablement l’une des plus belles routes du Camino. Je me rappelle qu’il y a deux ans, il y avait ici un brouillard intense à tel point que les pics ressortaient comme des iles au-dessus des nuages. J’étais alors avec Mélanie.
C’est le moment de re-raconter la légende du cuélebre et du pèlerin. Dans un des villages situé dans ce district, il existait un cuélebre, une sorte de serpent dragon géant appartenant à la mythologie asturienne. En Bourgogne-Franche-Comté, nous les dénommons vouivres. Il possédait des ailes sans pour autant présenter d'autres membres. Il était chargé de garder un trésor constitué de pièces d'or, richesse de la terre. Il avait pour habitude de dévorer les cadavres des moines enterrés dans l’église. Un jour, un pèlerin de Compostelle le surprit et le tua avec sa lance. Tout le monde respira…
Nous prenons allègrement la descente par un chemin pierreux qui se faufile au milieu des bruyères. C’est désagréable au possible, mais tout cela fait partie intégrante du chemin. Quelques kilomètres plus loin, nous arrivons par une piste bordée de murets au hameau déserté de Montefurado qui possédait un ermitage. Lors de mon passage précédent, on m’avait indiqué qu’un ermite y résidait. Toujours pas de trace. Aujourd’hui, le village n’est pas désert. Deux femmes nous permettent de remplir nos gourdes. Cet acte est le bienvenu car il fait chaud.
Au village de Lago, nous faisons halte au café du coin. C’est un point de regroupement car nous y retrouvons de nombreux pèlerins et cheminant déjà rencontrés depuis quelques étapes. Puis, après cet arrêt, nous rejoignons Berducedo. Le gite communal installé dans une ancienne école est déjà plein. Il nous faut trouver un nouveau gite. Joao et Damien avait retenu une chambre dans une pension. Généreusement, il nous propose de la prendre en décidant d’aller dormir sous la tente. Ils le feront avec d’autres cheminants près de l’église. En catimini, ils viendront prendre une douche et laver quelques vêtements. Merci à eux sinon Laurent et votre serviteur auraient dormi dehors.
Le soir, la french team constituée lors de la journée se retrouve au café pour partager un repas joyeux. Nous y chanterons le célèbre chant du pèlerin : « Tous les matins nous prenons le chemin… », applaudis par les autres pèlerins présents.
Que dire de cette journée ? Elle fut d’une incroyable richesse tant sur le plan physique en raison de l'engagement physique imposé par le relief que de la beauté sauvage des espaces traversés ou encore de la faune vue (rapaces / chevaux semi-sauvages).
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.