
Depuis Saint-Jean-le-Veux, il parait difficile de faire l’étape menant à Roncevaux, situé à environ vingt-neuf kilomètres. Il y a un dénivelé de 1 400 mètres en une seule journée. Ce n’est pas raisonnable surtout après mes ennuis de santé des derniers jours. Je choisis donc l’option de m’arrêter le plus loin possible en France, à l’auberge refuge d’Orisson située à huit kilomètres de Saint-Jean-Pied-de-Port, soit environ la moitié du dénivelé, six cents mètres.

Avec Thommas, nous quittons le gite du camp romain à 9h00 pour rejoindre l’accueil pèlerin où je peux prendre ma réservation pour le soir même. En passant, nous visitons l’église Saint Magdeleine dont le décor est particulièrement intéressant, sans oublier l’espace surmontant la nef qui fait penser à un triforium en bois sculpté. En regardant les textes affichés, je découvre avec bonheur un poème soufi d’Ibn Arabi que je connaissais pour en avoir présenté le sens à mes amis travaillant de midi à minuit. Il s’agit de ce poème sur la religion de l’Amour que je fais mien et que je vous livre tant il a provoqué en moi une belle émotion.

En voici la teneur : « Mon cœur est devenu coupable / d’accueillit toute forme. / Il est le pâturage pour la gazelle / et abbaye pour le moine ! / Il est un temple pour idoles / et la Kaaba pour qui en fait le tout. / Il est les tables de la Thora, / et aussi les feuillets du Coran. / La religion que je professe / est celle de l’Amour. / L’Amour est ma religion / et ma foi. »
Nous arrivons à Donibane-Garazi, le nom basque de Saint-Jean, par la porte Saint-Jacques, entrée traditionnelle des jacquets dans la cité. Je me dirige vers l’accueil de l’association jacquaire de cette longue rue où se trouvent la plupart des gites de pèlerins.

À l’accueil, des bénévoles de nombreux pays (français, espagnols, anglais, allemands, australiens…) aident les pèlerins dans leurs démarches en leur apportant des conseils. Il a peu de monde ce matin. L’hospitalier qui me reçoit déplore une baisse sensible de la fréquentation.
Lorsque je ressors, Thommas a disparu, je ne le reverrais pas. C’est ainsi sur le Chemin, on se retrouve, on fait un bout de parcours ensemble puis on se sépare chacun poursuivant sa voie.
Comme j’ai un peu de temps, je visite le musée basque où je découvre une série de costumes dont celui de muletier. Pendant un instant, j’ai pensé à l’un des héros sur lequel je travaille pour rédiger un ouvrage à paraitre, Mandrin le capitaine des contrebandiers. Ceci est une autre histoire… Dans cette région, on devait aussi pratiquer la contrebande entre les deux pays pour éviter de payer les taxes.
La rue est maintenant envahie de touristes dont certains s’expriment fortement. On est loin du silence du parcours. Un petit train touristique sus pneus passe débitant le discours enregistré. Il est temps pour moi de quitter cette cité où à l’évidence je n’ai pas ma place.
En visitant l’église, j’essaie de me recueillir un instant gêné par des touristes parlant comme s’ils étaient au marché. Je ressors rapidement devant ce manque de respect. J’aurais peut-être dû visiter les fortifications de Vauban[1] pour faire le lien de cet homme passionnant enterré à Bazoches, près du lieu de mon départ à Vézelay. Mais, ce sera pour une autre fois, car je pense que là aussi, la masse des touristes va me gêner.
Après un rapide déjeuner sur le pouce à la sortie de la cité, j’entreprends les huit kilomètres qui doivent me mener à l’auberge. Le soleil cogne, il fait chaud. Il me faut plus de trois heures pour rejoindre l’auberge, deux litres d’eau (il fait soif) et la recherche constante de l’ombre pour faire des haltes salvatrices.

En route, je fais la connaissance d’Irina, une Sud-Africaine mariée à Tobias, un Néerlandais. À un moment donné, alors que j’avais pris de l’avance, je vais m’allonger dans un chemin terreux sous un arbre. Regardant les vautours voler dans le ciel, je vais m’assoupir. C’est leur arrivée qui me fit sortir des bras de Morphée.
Reprenant la route du refuge situé maintenant à deux kilomètres, je tombe au niveau de la table d’orientation sur une équipe de reportage de BFM TV filmant la montée. Cherchant des pèlerins étrangers pour les interroger sur l’accueil, je leur signale que c’est le cas de mes compagnons. C'est ainsi qu'Irina et Tobias répondent à leurs questions.

Voici ce que disait de cet endroit, Aimery Picaud, l’auteur qui au XIIe siècle écrivit le guide du pèlerin : « Dans le Pays basque, la route de Saint-Jacques franchit un mont remarquable appelé Port de Cize… Pour le franchir, il y a huit milles à monter et autant à descendre. En effet, le mont est si haut que celui qui en fait l’ascension croit pouvoir de sa propre main toucher le ciel. »
Je finis le dernier kilomètre de l’ascension avec mes compagnons. Après une bonne douche bien chaude, je m’installe dans une chambrée avec quatre Bordelais très sympathiques qui repartent le lendemain vers la capitale de l’Aquitaine pour finir leurs congés en Italie.
Après une bonne bière et le début de ma rédaction de ce jour, Irina et Tobias me rejoignent et m’offrent un vin blanc. Nous participons au repas communautaire, nous sommes vingt-quatre.

Je n’ai jamais vu autant de monde sur le Chemin. L’ambiance est chaleureuse et n’a plus rien à voir avec ce que j’ai déjà vécu. Lors de la présentation, nous découvrons qu’il y a une bonne douzaine de nationalités : Corée, Québec, Suède, Suisse, Allemagne, Afrique du Sud, Nederland, USA, Espagne, Australie, Hongrie, Pologne… et France. Seul un Italien vient du Puy-en-Velay, moi de Vézelay et nos quatre Bordelais de Bordeaux. La plupart des autres pèlerins commencent leurs parcours par cette première étape un peu difficile.
Vers 21h00, tout le monde est couché.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.
[1] J’ai écrit une biographie sur lui, Vauban le bourguignon, disponible auprès de moi.