
Je quitte l’albergue vers 6h30, après avoir bu au bar mon café américain. Le temps est frais, ce qui est normal à cette altitude. Je pense à Charles et à son envie de bivouaquer face aux étoiles. Il n’a pas dû avoir chaud. Avec un peu de chance, je risque de tomber sur lui en cours de route. Il reste environ 150 kilomètres pour arriver à Santiago. Une petite semaine… ou moins.
Le parcours suit en grande partie une route heureusement peu fréquentée. Avec ces temps de solitude et de lumière blafarde, j’apprécie toujours autant les levers de soleil.

Un moment où la vie et la chaleur reprennent le cours du temps. Nos ancêtres attendaient chaque jour avec appréhension ce lever. Leur grande peur était qu’un jour, le dieu soleil oublie, ou ne veuille pas qu'il apparaisse. Le soleil, c’est la vie, à la fois lumière et chaleur qui chassent la froideur de la nuit des grottes. Dans le mazdéisme souvent appelé injustement zoroastrisme, les Perses lui donnaient une telle importance que leur principal dieu, celui de la bonté, se dénommait Ahura Mazda, la Lumière. Un nom dont le marketing des voitures et des piles électriques s’est largement emparé.

Nous sommes dans la campagne et il n’est pas rare de se retrouver dans l’aube naissante au milieu d’un troupeau de vaches comme à Padornelo. Après Fonfría do Camino, au détour d’un chemin, dans un bar du hameau d’O Biduedo, je découvre Charles attablé avec deux jeunes Bulgares. Il m’explique qu’ayant dormi à quelques centaines de mètres plus haut, il avait eu un grand plaisir à assister à la descente du soleil et à l’apparition d’étoiles filantes. Il est vrai que la grande nuit de ce phénomène est prévue mi-aout. J’espère pouvoir y assister de Santiago. Après le café du matin, il est temps de prendre mon petit-déjeuner fait du traditionnel café et de tortilla. J’aime d’ailleurs particulièrement celle-ci, bien épaisse, comportant des œufs.
Le quatuor reprend la route qui descend. Nous sommes très surpris de voir un pèlerin marchant pieds nus sur le chemin empierré. Il nous explique que c’est à cause d’une mauvaise tendinite… Drôle de traitement, mais chacun fait ce qu’il veut. En passant à As Pasantes, j’achète pour un euro une barquette de framboises et de fruits rouges exposés devant une maison que nous partageons. Vu le nombre de barquettes juchant le sol (beurk !), le commerce doit bien marcher. Cela suscite une réflexion de Charles sur ces gens impolis, pour ne pas dire plus, jetant sur le Camino leurs déchets.
Quant à moi, j’attends toujours de rencontrer les grandes poubelles vertes pour le faire. Question de culture sans doute…
À Triacastela (nous sommes revenus à 700 mètres d’altitude), nos compagnons bulgares partent de leur côté. Nous restons un peu en ville pour faire des courses et retirer un peu d’argent.
À la sortie de la cité, alors que nous déjeunons, l’hospitalier d’une albergue nous conseille de suivre la variante passant par San Xil. « C’est plus joli, nous dit-il, et surtout elle est moins fréquentée, car passant sur les hauteurs. Elle est un peu moins longue pour rejoindre Sarrià que celle passant par la vallée, notamment par Samos. »

Il nous dit aussi que nous serons déçus par ce fameux monastère de Samos qui ne mériterait pas de sa réputation.
Fuir la foule de plus en plus nombreuse des pèlerins est plutôt notre style, aussi nous nous suivons son conseil. En ce qui concerne la beauté du paysage, nous ne sommes pas déçus. Toutefois, il avait oublié de nous dire que c’était très vallonné, et que nous ne trouverions un gite qu’aux alentours de Sarrià.

Nous abandonnons donc l’idée de dormir à Furela (trop triste), et à Calvor (le gite plutôt bon chic bon genre est plein). C’est ainsi que nous arrivons un peu contre notre gré au camping de Sarrià, où nous pouvons loger sous une grande tente pour six euros par lit. Ce fut l’occasion de laver le linge, de recharger les différentes batteries du matériel électronique. Le soir, nous mangeons dans la salle du restaurant en regardant les Jeux olympiques (2012). Le menu : porc en lamelles et plat de frites. Nous découvrons que la France a déjà vingt-huit médailles, dont huit en or. C’est donc un retour dans le cirque médiatique.

Depuis plusieurs étapes, j’ai l’impression d’être loin de ma recherche spirituelle si j’excepte le moment passé à O Cebreiro. Cela me manque, et n’est pas la recherche de Charles. Nos échanges sont de qualité, c’est un garçon qui se cherche, possédant une plus grande profondeur que ce qu’il affiche. Il est aussi en révolte. Comme vous avez aussi pu le voir, plus d’églises, plus d’ermitages. Tout semble fermé. C’est la course aux refuges pour avoir sa place. Bref, nous sommes maintenant dans le tourisme de la marche.
D’ailleurs, cela se confirme avec le car transportant quarante-deux pèlerins belges flamands. Quatre d’entre eux ont en charge de faire chaque soir le repas et le matin le petit-déjeuner collectif. Le car dépose les marcheurs au début des difficultés et les récupère à l’arrivée. Chacun son chemin…
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.