Pourquoi le Camino Primitivo, le chemin primitif ? C’est en 812 ou 814, sous le règne du roi asturien Alphonse II dit le Chaste qu’eut lieu, selon la tradition, la découverte de la tombe de l’apôtre Saint-Jacques par un ermite. C’était à Iria Flavia (aujourd’hui Padron non loin de Santiago). Je devrais y passer lorsque je ferais mon cheminement sur le Camino portugais. Ce roi est considéré, avec l’évêque du lieu, comme l’un des premiers pèlerins, semant la graine de ce qui allait devenir l’un des plus importants pèlerinages de la Chrétienté. Ses liens avec Charlemagne vont attirer de nombreux pèlerins.
Ce chemin, naissant officiellement dans la capitale des Asturies (Oviedo), pénètre en Galice en traversant les montagnes de Lugo. Hormis le Camino Maritimo (qui se trouve aussi sur la voie portugaise), chemin parcouru en barque, c’est la plus ancienne voie pédestre menant jusqu’à la tombe présumée de l’apôtre. Bien avant les quatre chemins historiques de France et le Camino Frances.
Je suis l’un des premiers à quitter le monastère après avoir pris dans mon sac l’un des derniers sachets de thé qu’il me reste. Je dois en racheter. S’il y a une cuisine, elle n’est pas fournie en nourriture à minima. Il faut donc se débrouiller avec ce que l’on a. Lorsque j’entame la route, je constate que le temps est frais et qu’il y a du brouillard. Cela me va très bien puisqu’il faut gravir environ trois cents mètres de dénivelé sur trois kilomètres pour atteindre La Campa. Un bel exercice de mise en jambes pour se réchauffer.
Sur les hauteurs, en me retournant, je peux apercevoir en contrebas le monastère et ses immenses bâtiments dans son écrin de verdure au milieu du vallon. Cela permet de comprendre le choix des moines pour ce havre de paix et de quiétude facilitant la méditation et la prière. Cela ne les empêchait pas de travailler la terre pour subvenir à leurs besoins. « Ora et Labora », prier et travailler, est l’adage bien connu résumant la vie bénédictine et donc celle des cisterciens.
Tout se passe bien, je suis d’ailleurs étonné de le faire sans difficulté réelle. Je suis seul. Et je me mets à penser à ce petit chien noir rencontré en 2013. Étonnamment, il me manque. J’espère qu’il a quitté son errance, a trouvé un bon maitre et qu’il vit désormais heureux dans une famille. Je suis toujours surpris de me ressouvenir avec force de cet épisode de mon cheminement de 2013. Peu à peu, je passe dans des hameaux : Villaoscura, Villarica.
Arrivé à l’alto (col) de La Campa à quatre cents mètres d’altitude, le vent souffle avec force. Signe de beau ou mauvais temps ? Puis, je redescends vers Figares, Pedrosa et Vega de Sariego où se trouve une albergue de preregrinos. Détruite, cette dernière fut reconstruite après la guerre civile de 1936. Elle fut aménagée avec des petites fenêtres de style mozarabe en souvenir de l'ancien édifice.
J’ai déjà parcouru sept kilomètres et toujours pas le moindre café ou bar en vue pour prendre un petit-déjeuner plus conséquent, et surtout une boisson chaude. Il me reste à parcourir vingt-sept kilomètres pour atteindre Oviedo où j’ai l’intention de faire halte ce soir. Peut-être un peu prétentieux, à voir ! Précédemment, je n’avais fait qu’y passer.
Je continue donc mon chemin vers Barbechu, Aramanti, El Cantu, Aveno, Carrases, Vega, El Rayu avant d’arriver au bout de dix kilomètres à Pola de Serio, une cité de treize mille habitants. En chemin, je revois avec joie cet ermitage isolé de La Bienvenida pour lequel j’ai déjà eu un véritable coup de cœur. Elle respire la sérénité.
En chemin, je croise l’une ces énormes silhouettes de taureaux géants comme on en trouve de nombreuses en Espagne. C’est en fait une publicité pour promouvoir un brandy de la marque Osborne. Elle se découpe sur le ciel pour être vue de loin. Ce qui est amusant, c’est qu’à la suite d’un procès demandant leurs suppressions, le tribunal suprême d’Espagne considéra qu’il fallait les maintenir en raison de leur « intérêt esthétique et culturel ». sic…
C’est maintenant l’arrivée à Pola de Serio. Alors que je cherche un bar, j’entends qu’on m’appelle par mon prénom. Je me retourne, et découvre les deux jeunes cyclistes rencontrés à Valdedios, Romuald et sa cousine espagnole. Nous discutons un moment en français, notamment au sujet de l’ermitage croisé, mais aussi de la beauté des paysages rencontrés. Comme ils veulent dépasser Oviedo, nous nous séparons un peu avec regret. Ils étaient super-sympas et pas fiers. Ah, s’ils avaient marché, cela aurait été un plaisir de cheminer ensemble. Je prends un solide petit-déjeuner qui fit office de repas de midi.
Je passe devant le gite où j’avais fait halte en 2013, et où j’avais rencontré Mathieu. J’ai parlé de lui lors de mon parcours actuel à Oloron-Sainte-Marie (étape 48). Je me dirige maintenant vers El Berron situé non loin de là, que je passe rapidement.
Buenavista, Foncellio… J’arrive devant un sanctuaire moderne situé à San Juan del Obispo, près de Meres que je ne connaissais pas. Il est érigé en l’honneur de la Virgen do Cabeza. J’avais déjà entendu prononcer le nom de cette Vierge à Andujar en Andalousie, mais pas dans cette région. Je ne connais pas la raison de sa présence en ces lieux. Bâtie à partir d’une souscription, il est entouré de nombreux bancs permettant aux familles de piqueniquer. A l’intérieur, une très belle Vierge.
C’est la reprise du Chemin vers Meres. Je fais halte au Palacio de Meres comme je l’avais fait avec Mathieu. Contrairement à notre dernier passage, il ne pleut pas. Je me contente de revisiter l’église datant des XVe et XVIe siècles, dédiée à Santa Ana. Elle est souvent utilisée, comme le palais attenant, pour célébrer des mariages et cérémonies relativement luxueux. Je revois le même homme d’entretien en train de tondre la pelouse avec sa machine auto-portée.
Le palais, classé monument culturel espagnol depuis 1990, appartient à la même famille depuis quatorze générations. Sa construction s’articule autour d’une cour carrée centrale. Le couloir qui l’entoure s’appuie sur des colonnes toscanes, une conception spatiale en droite ligne de la tradition de la Renaissance. Un petit clin d’œil aussi à Mathieu sur une photo datant de 2013…
Je reprends la route vers Granda et Castanera. En route, je rencontre Vincent, le travailleur social rencontré avant Valdedios, et la jeune fille qu’il accompagne sur le Chemin. Nous sommes heureux de nous revoir car je les avais quittés alors qu’il existait en froid entre eux. Il m’apprend qu’ils se sont arrêtés à l’albergue de Sariego et qu’en chemin, ils ont eu une discussion assez houleuse. Maintenant, tout va bien. Le métier de Vincent est difficile et utile. Il me fait penser à cette émission de TV où Pascal, le grand frère, essaie de remettre sur le droit chemin des jeunes en difficulté.
Ils doivent faire halte à Oviedo et d’y passer la journée du lendemain. La jeune fille doit récupérer en poste restante du courrier provenant de sa famille. Elle en est heureuse, son angoisse étant qu’il ne soit pas arrivé. En fait, il y en aura, ce qui la rendra joyeuse. Nous décidons de faire route commune jusqu’à la capitale asturienne.
Après avoir bu une boisson rafraichissante près de l’usine Coca Cola, à Colloto, nous enjambons le pont médiéval qui a conservé toute sa vigueur. Il nous reste six kilomètres à parcourir pour atteindre Oviedo. Mes compagnons de route ont réservé leur logement dans une auberge privée. Comme je n’ai rien prévu, ils me proposent de me joindre à eux. J’accepte cette invitation. Grâce à eux, j’ai pu trouver un logement sans me poser trop de questions. Je suis seul dans une chambre pour deux, et je vais pouvoir dormir sans les ronflements.
Fondée au VIIe siècle, Oviedo est la capitale de la principauté des Asturies. Sa devise « La muy noble, muy leal, benemérita, invicta, heroica y buena ciudad de Oviedo que l'on peut traduire par « La très noble, très loyale, méritante, invaincue, héroïque et bonne ville d'Oviedo ». Un dicton daté de 1583 reflète la grande popularité du sanctuaire d'Oviedo : « qui a été à Saint-Jacques et n’a pas été à Saint Sauveur, a visité le serviteur et a délaissé le Seigneur ».
La cathédrale San Salvador (Saint Sauveur) est de style gothique flamboyant. C’est au XIIIe siècle qu’elle va prendre sa forme actuelle à la suite d’une rénovation. Elle est connue comme étant une sancta ovetensis, c’est-à-dire possédant de nombreuses reliques de qualité.
Depuis le XIe siècle, elle possède le Soudarion, un linge de lin de 84 cm sur 53 cm, vénéré comme étant une composante du Suaire du Christ. Une étude scientifique aurait fait apparaitre une quinzaine de points de coïncidence avec le visage du Linceul de Turin. Là s’arrête ma narration sur ce sujet, le reste étant du domaine de la croyance intime de chacun.
A suivre. Alain dit Bourguignon la Passion.