
Ce matin, nous traînons un peu. Nous devions partir à 7h00, mais en fait, ce fut une heure plus tard. Entretemps, notre hôte, Raoul, s’est occupé de ses vaches et veaux. Bien entendu, les travaux de la ferme priment. Il est généreux de nous ramener gracieusement à Argagnon, à une vingtaine de kilomètres de chez lui. C’est l’occasion de prendre en photo l’une des spécificités de sa maison, l’ancien puits fonctionnant toujours, situé dans la cuisine et mis en valeur par un éclairage.
Toujours aussi désintéressé, sachant que nous avons peu de provisions, il nous prépare des sandwichs au pâté fabriqué l’hiver dernier. Il ne veut pas nous laisser partir sans rien de consistant.

Lorsque j’ai voulu régler notre écot, il eut cette réponse : « Chez moi, il n’y a jamais de supplément, cela me fait plaisir de vous le donner ». Un grand cœur, je vous le dis. Une bonne adresse pour les futurs jacquets.
Nous reprenons la route vallonnée qui nous fait passer sur l’autoroute La Pyrénéenne, puis à Maslaq avant de traverser la petite rivière de La Geü, un affluent du gave de Pau, en direction de Sauvelade. Gravissant un chemin rocailleux, je prends en photo un groupe de chevaux béarnais. Ils sont sereins et prêts à poser pour l’artiste (sourires).

Je ne vous ai pas encore parlé de la prise de photos qui alimentent mon blog. Même si parfois elles n’apparaissent que culturelles, elles saisissent des moments d’émotion, d’exception, de lieux, d’évènements, de mimiques qui permettent d’alimenter nos souvenirs. La photographie est notre carte mémoire qui remplace la virtualité de notre cerveau. Elle la trace naturelle ou culturelle de notre passage que nous partageons plus ou moins, selon son contenu. Nos ancêtres faisaient de même sur les parois des cavernes en laissant ces peintures rupestres montrant des animaux, des signes, des outils…

Arriver à l’abbatiale cistercienne de Sauvelade demande des efforts. Il faut passer dans des chemins pierreux et parfois se mouiller dans l'eau de rus débordants. Votre serviteur a les pieds mouillés. L’ami Alain, l’autre, même s’il a le sourire, peine un peu dans les montées. Prends ton temps, fils !
L’abbaye construite au XIIe siècle fut détruite lors des guerres de Religion. Il ne reste que l’abbatiale au dépouillement caractéristique de l'architecture romane cistercienne.

Nous espérions y voir la statue en bois peint doré de monsieur Jacques dont Jean-Claude m’avait vanté la beauté. Point de Jacques doré… Il est parti en restauration. Pas de chance, mais c’est la vie. Dans le chœur, on peut encore voir la marque de l’ancienne structure de bois en forme de coquille qui a été enlevée ou recouverte de crépi. Dommage !
Au café voisin, nous retrouvons Djamel qui a bivouaqué tout près de là. Nous découvrons aussi une étrange bicyclette aux grosses roues appartenant à un Suisse qui semble capable de passer partout, même dans des lieux accidentés.
Il ne faut pas traîner. Nous formons désormais un quatuor avec Djam.
La fin du chemin vers Navarrenx passe par de nombreux vallons sur des routes goudronnées, puis au travers une forêt où nous déjeunons. La descente est un peu longue et pénible avant Meritein avant d’arriver, par le chemin de la Biasse, dans les faubourgs de la ville.

C’est un peu pénible, on a l’impression de tourner en rond. Le but de notre journée apparaît avec ses remparts qui ne sont pas dus à Vauban comme on peut le croire, mais à un ingénieur italien dénommé Fabricio Siciliano au début du XVIe siècle, plus d'un siècle avant notre maréchal. Ils font 1 657 mètres de longueur.
Au XVIIe siècle, la cité était considérée comme un port fluvial pour les radeaux de la Mâture, transportant les troncs d'arbres venus de la vallée d'Aspe. 300 radeaux y passaient chaque année.

En ville, nous rencontrons de nouveau Pierre vu à l’étape précédente. Il ne veut pas dormir chez l’Alchimiste. De mauvaises voix le désignent comme sectaire. Je lui réponds que nous verrons, et que nous sommes suffisamment grands (je parle aussi pour mes compagnons) pour faire la part des choses. Il va au gîte communal.
Comme nous étions assis à siroter la bière de fin d’étape (une de mes traditions jacquaires), un véhicule étonnant apparaît, une sorte de roadster anglais d’un jaune vif. Son conducteur, un professeur du lycée technique du lieu l’a fait réaliser par ses élèves à partir d’une base de 2CV Citroën.

Du bien bel ouvrage qui fit l’objet d’une publication dans un journal spécialisé. Il est fier de nous la présenter. Je trouve super qu’une petite cité de mille cent habitants, à vocation agricole, soit capable de produire un tel objet.
Nous faisons connaissance à son gîte de l’Alchimiste, cet homme qui, depuis une centaine de kilomètres, met à notre attention sur des ardoises de pensées, notamment de Paulo Coelho. Je ne vois rien en cela de sectaire, mais je comprends que cela puisse déranger. L’accueil est chaleureux. Comme le gîte est plein, Djamel ira dormir au grenier en compagnie d’Yvonne, une pèlerine allemande rencontrée chez Paulette.

Nous trois, nous avons la chance de partager la même chambre.
Comme il y a un accueil jacquaire organisé à l’église, nous nous y rendons tous ensemble. Une hospitalière locale nous conte l’histoire de la cité, et notamment celle de l’église transformée un temps en temple protestant. Nous participons ensuite à une lecture de prières dont un texte a retenu mon attention. Je voudrais le partager avec vous.
« Marche, seul avec d’autres.
« Tu te fabriquais des rivaux,
« Tu te trouveras des compagnons.

« Tu te voyais des ennemis,
« Tu te feras des Frères.
« Marche, ta tête ne sait pas
« Où tes pieds conduisent ton cœur.

« Marche, pèlerin du monde.
« Marche, tu es né pour la route.
« Marche, tu as rendez-vous
« Où, avec qui ?
« Marche, tes pas seront tes mots,
« Le chemin, ta chanson,
« La fatigue, ta prière,
« Et ton silence, enfin te parlera.
« Marche, tu es né pour la route,
« Celle du pèlerinage.
« Un autre marche avec toi,
« Et te cherche.
« Marche, pour que tu puisses le trouver
« Au sanctuaire au bout du monde.
« Il est ta paix,
« Il est ta joie.
« Marche, déjà Dieu marche avec toi. »

Après ce temps de partage, un prêtre béninois de passage deux mois par an nous lit la bénédiction du pèlerin. De retour dans une salle du presbytère, nous partageons un pot amical agréable avant que chacun rejoigne sa résidence du soir.
La soirée chez l’Alchimiste fut festive. Tout le monde semblait heureux d’être là, et notre hôte, loin de l’image que certains lui donnent, fut chaleureux tout en étant en retrait. Je crois que cet homme ne fait pas l’unanimité, car il possède cette liberté intérieure que beaucoup aimeraient posséder. Il n’a eu aucun discours sectaire, au contraire, il a laissé circuler la parole avec une grande sérénité.

Quand mon voisin a voulu dire le Bénédicte, il lui a donné la parole. C’était à chacun de le vivre selon ses croyances. Cette différence est enrichissante si l'on sait se montrer tolérant et écouter son cœur.
La soirée se termina en chansons. Un des hospitaliers joua de la guitare, Bruno en emprunta une seconde, une hospitalière joua du violon. À les voir jouer ensemble, on sentait que le courant émotionnel passait.
Mais, tout a une fin. Après une tisane concoctée avec des herbes du jardin, et pour moi, un emplâtre de ma jambe en convalescence avec de l’argile verte entouré de cellophane, nous sommes partis nous coucher vers 23h00. Rude journée, mais combien enrichissante.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.