
Il est 5h00 du matin quand mon colocataire allemand se lève. Il n’est pas bavard et ne fait pas de bruit. Vingt minutes plus tard, il est parti. Je traine un peu au lit, et me rendors. La distance et la chaleur d’hier en sont certainement la cause. Lorsque je sors des nuages de la nuit, je m’aperçois que Simon est parti. C’est normal. Je vais le regretter, nous avions une bonne communion intellectuelle. Bonne route Simon.
Vers 8h30, je prends la route sans savoir vraiment où je vais m’arrêter. À chaque jour sa peine.

En chemin, je rencontre Jérôme, un pèlerin nantais entrevu hier au refuge municipal. Il est avec une copine qui rencontre de grandes difficultés. N’étant pas pressé - j’ai décidé de parcourir une étape courte, car j’ai le talon droit fendu qui me fait mal -, nous décidons de marcher de concert à trois kilomètres/heure.
Notre marche commune fait que nous allons régulièrement. Très chrétien, je découvre un garçon de vingt-neuf ans épris de spiritualité. Ayant beaucoup voyagé – université aux États-Unis, Afrique du Sud… - il travaille maintenant auprès d’enfants en difficultés. Je ne peux m’empêcher de faire la parallèle avec Simon même métier même âge.

Il est intéressant de voir et de partager avec de jeunes gens qui s’investissent auprès d’autres jeunes en manque d’amour la plupart du temps. Il me raconte que certains parents vont jusqu’à dire publiquement qu’il n’aime pas leurs enfants. Nous parlons aussi de religion, et du dévoiement de certains religieux. Son père qui est diacre lui a toujours appris à faire la différence entre l’institution et le message de la religion. Nous avons aussi un autre point que nous partageons, celui du départ volontaire de quelqu’un que l’on aime. En ce qui me concerne, c’est celui de mon frère qui a choisi de quitter ce monde.
Je suis heureux de cette rencontre vraie, une vraie richesse dans l’écoute et les échanges.

C’est avec regret que nous nous quittons à la sortie de ce village fantôme de Cirueña, un village très bourgeois construit autour d’un golf. En le traversant, il y avait plus de pèlerins que d’âmes qui vivent. Nous en avons dénombré cinq. Étonnant ! Jérôme doit attendre sa copine.
À la sortie, je croise mon colocataire allemand en train de se restaurer. Il est parti trois heures avant moi ? En passant, nous nous envoyons un signe. Sur le Chemin, il arrive parfois que cela n’accroche pas, comme dans la vie en fait.
Je prends maintenant la direction de Santo Domingo de la Calzada. Comme son nom l’indique, la cathédrale est dédiée à saint Dominique de la Chaussée. Son sépulcre se trouve à l'ouest du Poulailler. Sur le couvercle du gisant roman du saint, celui-ci apparaît avec ses vêtements reposant sa tête sur des coussins. Il est accompagné de six petits anges, deux à la tête, deux à la hauteur de la ceinture et deux aux pieds.

Le poulailler construit au XVe siècle loge un couple de gallinacés : un coq et une poule mensuellement remplacés, tâche qui incombe à la confrérie de Santo Domingo. Son existence est liée au plus célèbre miracle jacquaire, celui du pendu/dépendu. Le voici.
« En 1130, Hugonel, jeune pèlerin germanique en route avec ses parents vers Saint-Jacques-de-Compostelle passa la nuit dans une auberge de Santo Domingo de la Calzada. Une jeune servante lui fit des avances qu’il repoussa. Éconduite, elle cacha dans son bagage de la vaisselle d'argent. Au moment du départ, elle l’accusa du vol du plat. Il fut condamné et pendu pour ce vol qu’il n’avait pas commis. Les parents éplorés continuèrent leur pèlerinage et prièrent saint Jacques. À leur retour de Compostelle, ils entendirent leur fils dire du haut du gibet qu'il vivait, car saint Jacques le protégeait. Émerveillés, ils s'adressèrent à l’alcade (de l’arabe al cadi : le juge), alors que celui-ci était en train de déguster un coq et une poule rôtis. Il leur répondit avec ironie : « Si votre fils est vivant, cette poule et ce coq se mettront à chanter dans mon assiette. » Ce qu’il advint : le coq chanta et la poule caqueta. L’alcade bouleversé fit dépendre le jeune homme et pendre à sa place la fautive. »
Cela donna lieu au célèbre dicton jacquaire : « Santo Domingo de la Calzada donde cantó la gallina después de asada » que l’on peut traduire par : Santo Domingo de la Calzada, où a chanté une poule après avoir été cuisinée.

En traversant le pont sur le Rio Oja complètement à sec, je rencontre Bjorn, un pèlerin rencontré à Orisson (38e étape) qui me lance un « Hello, Frances ». Je suis un peu honteux, car je ne l’avais pas reconnu. Il m’a fallu plusieurs minutes pour le faire. Pourtant, à Orisson, il était assis près de moi. J’en tire la conclusion que l’on ne fait pas toujours assez attention à ceux que nous côtoyons. Il me dit en plus qu'il m’avait salué la veille. Oups ! Très soft, il s’en amusa. Nous décidons de marcher ensemble sous la canicule (35 degrés). À un moment donné, il me quitte pour rejoindre trois Taïwanaises s’abritant à l’ombre de meules de foin.

J’arrive donc seul au village de Redecilla del Camino. Après réflexion, je décide de m’arrêter à l'Albergue San Lazaro où je prends un lit pour cinq euros. Après m’être douché puis reposé pendant une heure, sur qui je tombe ? Bjorn qui a décidé au dernier moment de s’arrêter aussi. Le hasard ?
Je fais la connaissance aussi de Ramon, un ressortissant autrichien vivant à Bordeaux qui vient d’être poussé à la retraite par son entreprise. Avec un couple d’Allemands, nous prenons le repas du pèlerin (dix euros par personne) dans une ambiance chaleureuse.
Le tonnerre gronde, il va enfin pleuvoir. Hélas ! Cela ne dura que le temps de le dire.
À 21h00, tout le monde est au lit.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.