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Publié par Alain Lequien

   Il est plus de 8h30 lorsque j’émerge. Il faut me préparer. Thé vert, mais rien à se mettre sous la dent sauf quelques dattes. Cela fera l’affaire. Nos amis du désert s’en contentent bien.

   Je rejoins un chemin de halage longeant un ancien bief asséché. C’est assez étonnant de voir son creusement aujourd’hui envahi par des arbres. Il n’y a pas âme qui vive, à l’exception d’un chien qui fonce sur moi en aboyant. Voyant mon bourdon, il s’arrête à trois mètres de moi. Je l’interpelle. Cela a pour effet de lui faire tourner casaque en s’enfuyant rapidement. Tiens, je fais peur aux chiens maintenant, je dois avoir une sale tête.

   Rien de spécial jusqu’à Grossouvre où je découvre le château et un site industriel de fabrication de tuiles. Véritable maison forte rénovée, le château accueille aujourd’hui des pèlerins. Quant à la tuilerie, bâtie sur le site d’une ancienne forge, elle est toujours en activité. Dans le village, personne. Le chemin est agréable, plat, avec une alternance de parties herbeuses ou dégagées. De temps à autre, un petit coup de vent vient refroidir la faible chaleur d’un soleil hésitant.

   Arrivée à Sancoins. En son temps, passa Jules César voulant imposer aux Éduens son emprise sur Decize, sans oublier celui de Vercingétorix allant à Bibracte. Les seules personnes rencontrées sont deux couples de pêcheurs plus enclins à partager une bouteille de vin que de s’occuper de leurs lignes. Comme on est le jeudi de l’Ascension, tout est fermé dans le village.

   Je décide de manger le long du canal. Avec surprise, sur l’autre rive, une trentaine de camping-cars sont garés. Que se passe-t-il ? Un concours de pêche ? Je m’aperçois qu’une affiche donne les horaires pour la pêche des carpes de nuit. Comme à Nevers ! C’est donc une tradition bien ancrée.

   Cet arrêt m’a rafraichi, il fait frisquet maintenant. Je suis obligé de remettre ma veste polaire tout en rêvant à un café bien chaud. Que nenni ! Rien à l’horizon.

   Je reprends la route et aperçois un pèlerin. Mon premier. Je lui lance un hello. Il s’arrête attendant que je le rejoigne. Nous nous présentons. Il est Néerlandais et vient de parcourir le Chemin depuis chez lui en trente jours. Comme il souhaite s’arrêter pour déjeuner, nous ne faisons que quelques centaines de mètres ensemble. En fait, le soir au refuge, nous fîmes plus ample connaissance.

   Je continue seul et m’arrête pour demander à un vieux pêcheur ayant placé plusieurs cannes dans le canal, ce qu’il pêche. Pour toute réponse, il me répond « Du brochet ». Puis, il tourne la tête montrant ainsi que notre conversation s’arrêtait là. Je lui envoie tout de même « Bonne pêche ». Aucune réponse. Je reprends la route en me disant qu’il fallait respecter ce taiseux.          

   J’aperçois un pont et l’annonce du refuge « Nos repos » se trouvant à 1500 mètres. Quittant le canal du Berry, je me rends au village d’Augy-sur-Aubois par une petite route goudronnée. 

   Quelques gouttes de pluie commencent à tomber. Mon plus grand désir est d’arriver avant la pluie. C’était une fausse alerte, le soleil réapparaît presque aussitôt, le vent poussant les nuages. Je suis accueilli chaleureusement par des hospitaliers hollandais volontaires se succédant toutes les deux semaines. On m’offre une bière qui est bienvenue et nous remplissons les différents devoirs : inscription sur le livre, tampon sur la crédentiale et versement de mon obole de huit euros pour la nuit et le petit déjeuner. Quand je vous dis que tout le monde ne pense pas qu’à l’argent.

   Je suis attiré par le message d’accueil : « Pèlerins et Pèlerines / Arrivant de Vézelay / Oyez deux notes qui serine / Sur sa branche un Oiselet. / Assurément composent-elles / Un bonjour affectueux / En chemin de Compostelle / Souvent difficultueux. / Toujours à la bonne franquette / Vous serez reçus ici. On tâchera d’être en quête / Du moindre de vos soucis. / Cependant que se reposent / Vos orteils endoloris, / D’Augy vous soit douce pause / En province de Berry. »

   C’est alors qu’arrive Clémens, le pèlerin hollandais rencontré en cours de route. Il vient de Maastricht où il était professeur de mathématiques. Nous sympathisons plus facilement que sur le bord du canal. Jeune retraité, il profite de son temps libre pour se rendre à Saint-Jacques. Nous parlons du parcours, des différentes options du chemin… Sur son bâton de marche, il grave les principales étapes parcourues. Comme il manquera certainement de place, il me dit qu’il prendra un autre bâton. Dans le pli de son béret, identique à celui porté jadis par les anciens curés, il place consciencieusement le tracé du parcours de la journée suivante qu’il a découpé au cutter du livre décrivant les étapes.

   À 18h00, nos hôtes hospitaliers nous invitent à partager un verre de vin de la région de Narbonne. En fait, ce fut plusieurs. La solitude du Chemin fait place à la convivialité des refuges. Nouvelle arrivée, celle d’Adriaen, un pèlerin néerlandais effectuant le parcours à bicyclette. Il est de la région des Frisons. Une grande discussion s’engage avec passion et humour. Cela semble être un jeu pour eux, car appartenant au même pays, ils sont de provinces différentes. J’apprends que l’on appelle à tort leur pays du nom de Hollande puisque cette dénomination ne concerne que deux provinces. Il faut dire Nederland ou Pays-Bas. J’apprends aussi cette expression utilisée des Néerlandais : « Vivre comme Dieu en France ». Ils sont très étonnants et loin de l’image un peu trop chauvine que nous leur donnons parfois. 

   Vers 19h00, nous partageons les agapes du soir qui n’étaient pas prévues initialement. C’est un dîner à frais partagés, chacun versant son obole qui reste à sa discrétion, en fonction de ses moyens et des mets servis. Cela peut varier de un à dix euros. On appelle cela le donativo. Personnellement, après avoir consulté mes deux acolytes néerlandais qui m’ont expliqué cette pratique sur le Chemin, un montant autour de cinq euros est raisonnable. En fait, je verserais sept euros ce qui est loin d’un repas pris dans un restaurant. Cela fit ce soir-là un total de quinze euros pour une nuit, un repas du soir et un petit déjeuner. C’est loin d’être onéreux. Au menu, soupe de pois chiche, endives au jambon, fromage, café, le tout arrosé de vin.

   Vers 22h00, au lit dans le sac de couchage.

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.

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