
La nuit fut bonne, la musique ayant finalement cessé assez rapidement. Après le petit déjeuner copieux, nous reprenons la route vers Saint-Jacques pour les dix derniers kilomètres parcourir pour arriver à Santiago. Cela sent de plus en plus la fin du cheminement.
Nous passons à Monte del Gozo[1], le Mont de la Joie. Autrefois, les pèlerins le gravissaient en courant. Celui qui parvenait le premier au sommet y plantait une croix et faisait retentir le cri joyeux de Santiago ; il était alors proclamé roi du pèlerinage. Une autre tradition dit que cette nomination était pour celui arrivant le premier à Santiago. Certains, pris par l’émotion, criaient Montjoie ! Montjoie !
La tradition veut que ces cris de joie aient donné le nom à la colline. Puis, ils entonnaient le vieux chant[2] : « Herru Sanctiagu ! / Got Sanctiagu ! / E Ultreia, e suseia ! / Deus aia nos ! »
Dans son Guide du pèlerin, Aimery Picaud se serait exclamé : « Compostelle, l’éminente ville de l’Apôtre, pleine de charmes, la ville qui protège les restes mortels de saint Jacques, raison pour laquelle elle est considérée comme l’une des plus heureuses et éminentes des villes d’Espagne. »

De nos jours, la colline a bien changé avec le monument commémorant la venue du pape Jean-Paul II en 1989. En contrebas, on trouve le refuge de plusieurs centaines de lits construit à cette occasion.
Du haut de la colline de près de 400 mètres, on aperçoit au loin, en cherchant un peu, les flèches de la cathédrale de Compostelle. Nous ne sommes plus qu’à cinq kilomètres.
Nous descendons vers la cité. En ville, nous nous arrêtons pour boire un café. Parlant avec des pèlerins arrivés depuis quelques jours, voilà qu’arrivent deux compagnons de route que j’avais perdus de vue depuis presque un mois, Patrick et Sybille. À cette occasion, Sybille me demanda de signer sa guitare pour garder un souvenir de notre parcours. Nous sommes très heureux de nous retrouver, et l’occasion de les présenter à Guy.

Nous nous dirigeons vers la cathédrale, et nouveau hasard (je n’y crois plus guère), nous tombons sur Mélanie, une autre compagne de route. Arrivant devant la cathédrale, nous allons immortaliser ce moment par une photo commune.
Il est temps d’aller chercher la Compostela avant la foule de pèlerins et cheminants. Cette année (2013), ils furent plus de 200 000 à demander la fameuse Compostela. Un peu d’attente, le recueil de la Compostela après contrôle des règles du parcours, et la joie de recevoir cette nouvelle preuve de mon arrivée. Bien entendu, il n’est pas question ici d’un diplôme, mais la marque d’avoir marché près de 2 000 kilomètres. L’essentiel n’est pas là, ce n’est qu’un morceau de papier. L’essentiel est enfoui dans mon cœur, dans mon esprit, dans cette réflexion qui va me faire évoluer dans les mois et années à venir.

Nous nous rendons ensuite dans la cathédrale avant que la foule des touristes ne nous oblige à la longue attente pour accéder à la statue recouverte d’or de Jacques et à son tombeau. J’ai pu ainsi me recueillir en gravissant le petit escalier permettant d’accéder pour la seconde fois derrière la statue de maitre Jacques, et descendre au sous-sol devant la grille du tombeau présumé du saint.
Puis, nous assistons à la messe du pèlerin. Un moment émouvant devant la foule qui a envahi la cathédrale, dont de nombreux touristes continuant à déambuler. Nous sommes coachés par des vigiles qui nous dirigent vers les lieux où nous pouvons assister à la cérémonie. Une grande chance, nous sommes dans la partie située juste en face de l’autel. Notre surprise est de voir apparaitre Benjamin, notre compagnon de voyage, portant la chasuble blanche et un encensoir pendant la cérémonie. C’est presque pour moi une fierté.

Pour commencer, un officiant souhaite la bienvenue aux jacquets, puis en cours de cérémonie, des pèlerins de différentes nationalités arrivés à Compostelle lisent un texte sacré dans leurs langues montrant ainsi la diversité que nous représentons. Ce jour-là, nous n’aurons pas l’occasion de voir se balancer le célèbre botafumeiro, l’immense encensoir d’un mètre cinquante de hauteur, pesant environ cinquante kilogrammes en laiton argenté. Il est mis en oscillation à l’aide de cordes de chanvre par huit hommes, les tiraboleiros. S’élevant à plus de vingt mètres de hauteur, il atteindrait selon les spécialistes la vitesse d’environ soixante-dix kilomètres/heure. Le Codex Calixtinus en fait déjà mention (turibulum magnum) en indiquant qu’il servait à purifier l’intérieur de la cathédrale où se massait une foule de pèlerins Il diffuse un épais nuage de fumée odorante. La tradition veut qu'il fût destiné à masquer la mauvaise odeur de sueur et de crasse répandue par les pèlerins [3].
Le temps de boire un verre, nous rejoignons nos lieux respectifs de repos pour nous mettre à l’aise dans la visite de la cité.

Guy rejoint le célèbre Parador pour marcher sur les pas de Jean-Christophe Ruffin, l’auteur d’Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi. Sa présence dans l’hôtel nous permit de visiter les lieux en toute quiétude (voir article suivant). En ce qui me concerne, je n’en ai pas les mêmes moyens. Je rejoins une albergue privée indiquée par Myriam située non loin de là. Depuis la fenêtre, je peux admirer la cathédrale. C’est rustique, tout juste acceptable au point de vue de la propreté, mais bon, c’est ainsi.
Au début de l’après-midi, nous nous rejoignons pour déjeuner ensemble. En chemin, nous retrouvons Octave et Pablo, de nouveau Mélanie et Benjamin qui se trouve être dans le même dortoir que moi à l’albergue. Le monde est petit. Il doit reprendre le train le lendemain pour la France. Je n’ai pas de nouvelles de Patrick et de Sybille. Notre déjeuner est moyen, on voit bien que nous sommes dans une ville touristique.
Non loin de là, les animations de rues sont toujours aussi fréquentes comme ce clown doué à l’intention des enfants.
À suivre… À la découverte du Parador.
[1] Je vais y passer à cinq reprises.
[2] Chant du Codex Calixtinus (Livre de Saint Jacques) de 1140. La traduction serait : « Seigneur Saint Jacques / Grand Saint Jacques / Plus loin, allons ! / Plus haut, allons ! / Dieu aide nous ! » Nous retrouvons en partie ces mots dans le Chant des pèlerins de Compostelle de Jean-Claude Benazet.
[3]Fabriqué en 1861 par l'orfèvre Losada, il se balance au son de l’Hymne de l’Apôtre joué par les orgues. Alimenté de braises de charbon de bois et d'encens, il pèse plus de 100 kg. Au fil de l’histoire, il fut marqué que par deux accidents. En 1499, en présence de Catherine d’Aragon, il se décrocha et défonça la porte de la place des Platerías. En 1622, la corde se rompit et il tomba comme une masse sur le sol. Au XXe siècle, voulant s’en approcher, un pèlerin eut le nez et les côtes fracturés.