Étape 28 : Figeac (46) à Cajarc (46) – 32 km (730 km)
Après une bonne nuit, nous prenons tous le petit-déjeuner en commun. Tout bon moment à une fin. Il est temps de nous séparer et de quitter la maison accueillante de nos hôtes. Kamel a décidé d’aller à Rocamadour en prenant le train, quitte ensuite à suivre la variante lui permettant de rejoindre Cahors. Quant à Djam et moi, nous décidons de suivre le chemin des Causses.
Le temps est gris quand nous quittons la maison de Marta et d’Antoine. Après avoir déposé Kamel à la gare, Antoine nous emmène à la croisée des chemins pour reprendre notre route. Nous avons un peu de mal à nous quitter tant la gentillesse d’Antoine et de Marta est à marquer d’une pierre blanche. Ainsi est le Chemin : se rencontrer, s’apprécier, s’estimer avant que chacun reprenne son cheminement. Quitte à se revoir avec plaisir un autre jour[1].
Notre route nous mène d’abord à Faycelles où nous retrouvons nos trois pèlerins allemands en train de prier. Au lieu-dit La Cassagnole serait né Louis le Pieux, fils de Charlemagne. De plus, Cette partie de Saint-Jacques allant de Faycelles à Cajarc est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Nous continuons notre cheminement en suivant de petites routes et chemins plus ou moins fleuris. Sur l’un d’eux, au milieu de nulle part, nous visitons une gariotte ou cazelle, une petite cabane tout en pierres plates, aux murs ronds avec un toit conique. Cette petite maison est aménagée pour abriter les pèlerins. La table et les sièges sont en fait des troncs d’arbres sectionnés.
Là, un événement inexplicable rationnellement va se produire.
Nous étions installés pour profiter du lieu pour manger un morceau lorsque la porte s’ouvre et qu’un homme entre.
Il me regarde et dit d’un ton interrogatif : « Alain ? »
Aussitôt, sans réfléchir, je lui réponds « Arnaud ? »
« Oui, c’est moi ! » répondit-il.
Nous nous faisons l’accolade sous l’air surpris de Djam.
« Attends, je vais appeler Blandine qui a continué avec les enfants et les ânes ».
Il sort et appelle son épouse.
« Blandine, viens voir qui est là, c’est Alain ».
L’émotion est très forte. Nous tombons tous dans les bras des uns et des autres, car l’événement est extraordinaire. Et après… on me parlera de hasard.
Dijonnais, boulanger, ayant des amis communs, nous nous étions rencontrés dans les Landes à la même époque l’an dernier[2]. Ils avaient alors deux ânes et le petit Gabinou portait un plâtre.
Nous avions passé une soirée très amicale dans une de ces anciennes fermes autonomes landaises datant du siècle dernier. Puis, chacun avait continué son Chemin. Toute la petite famille avait passé l’hiver en Espagne, principalement en Galice. À leur retour, alors que nous avions perdu contact, voilà que je les retrouve au milieu des Causses. Nous sommes tous naturellement surpris de cette rencontre inexplicable. Encore un moment fort digne d’un scénario de cinéma.
Le temps de nous quitter étant venu, chacun doit reprendre son cheminement. La petite famille part en direction de Figeac, nous à l’inverse, vers Cajarc.
Nous passons maintenant dans des endroits très verdoyants, loin de l’image des Causses tels que je les avais en tête, c'est-à-dire secs et rocailleux.
Le temps s’est mis au beau. Ayant envie de café, nous faisons un détour au gîte dénommé Ecoasis à Gréalou. Un nom attirant. Mais, à priori, ce sont des spéléologues qu’ils reçoivent vu leur équipement présent dans de gros 4X4. Nous voyons rapidement la différence : ces sportifs peu amènes nous regardent un peu de haut. Bof ! C’est leur problème. On ne peut pas plaire à tout le monde.
Le tenancier accepte de nous servir sous condition que nous passions par l’arrière, sur la terrasse. Comme je veux me rendre aux toilettes, il m’entrouvre la porte et me demande de quitter mes sandales. Bref, vous l’avez compris, l'accueil est mitigé. Il nous sert quand même.
Nous sommes à quelques kilomètres de Cajarc lorsqu’une fermière vient au-devant de nous. Elle nous demande de rebrousser chemin sur une centaine de mètres. « Mes vaches n’aiment pas les couleurs vives de l’habillement des marcheurs », nous dit-elle.
Bizarre ? C’est bien la première fois que l’on nous fait une telle remarque. Mais bon ! Nous obtempérons laissant le troupeau de limousines entrer dans son enclos. Nous discutons avec son fils. C’est clair, pour eux, nous sommes des enquiquineurs même si nous lui apparaissons sympathiques. Certainement qu’ils ont eu une mauvaise rencontre pour juger ainsi.
Nous continuons de descendre vers la fin de notre étape, découvrant en passant une caverne sous les rochers possédant des dessins réalisés avec des pierres. Pour quelles raisons ?
C’est l’arrivée dans le village du président Georges Pompidou. Comme c’est jour de marché, il y a du monde. Nous allons boire notre bière d’arrivée avant de nous séparer. Djam a l’intention de bivouaquer, au pire, d’aller au camping. Ce fut cette solution qu’il choisit alors que pour quelques euros de plus, il aurait pu dormir plus confortablement au gîte. Chacun son choix.
J’ai choisi le gîte communal où étaient déjà présents un Allemand et une Belge. Ce soir-là se déroule la fête de la Saint-Jean qui avait été reportée la semaine précédente. Elle devait avoir lieu sur la base de loisirs, mais le temps incertain a poussé les organisateurs à la déplacer dans la salle des fêtes… située en face du gîte. Autant dire que nous aurions eu du mal à dormir avec le bruit.
Philippe, notre hospitalier, après avoir encaissé notre écot, nous proposa d’y participer. Certains refusèrent, ce ne fut pas mon cas. C’est ainsi que je vais me trouver embringué dans une fête de village, à manger dans une salle des moules frites arrosées de bière avec des gens du pays.
L’ambiance était festive. Nous sommes assis sur des bancs devant de grandes tables. Les familles présentes autour de nous se montrent très cordiales. Ces gens du pays me disent que c’est la première fois qu’elles voyaient des pèlerins qui n’étaient pas coincés. Avis à ceux qui me lisent ! Oui, parfois, quand l’occasion est donnée, n’hésitons pas à nous rapprocher des autochtones plutôt que de rester isolés entre nous.
Ce fut l’occasion de mieux nous connaitre. Pour eux, de découvrir ces visiteurs passant quelques heures sur leurs terres, pour nous, d’en apprendre un peu plus sur leur vie d’exploitant agricole qui est au centre de leurs préoccupations.
Nous considérant comme invités, ils se montrèrent généreux en payant le vin et la bière. À la fin du repas, l'un d'eux sortit une petite bouteille personnelle d’alcool très fort venant directement de son exploitation. Cela brûlait.
Vers 23h00, il est l’heure d’aller dormir. Demain, il faut marcher.
À demain - Alain, Bourguignon la Passion.
[1] Nous sommes toujours en contact. La dernière fois où nous nous sommes rencontrés lors d’une petite marche commune de deux jours vers Rocamadour., j’ai dormi dans leur gîte ouvert à Figeac, Antoine, le pèlerin. Une adresse où vous serez bien reçu.
[2] Alain Lequien, les mystères de Saint-Jacques de Compostelle, Éditions de Borée, 2017. Voir aussi sur le site www.bourguignon-la-passion.fr, année 2012.