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J’ai bien dormi dans un lit douillet, rien à voir avec le matelas gonflé de la tente. Après la douche et avoir bouclé mon sac, je descends pour prendre le petit-déjeuner généreux que Francine a déjà préparé. Nous échangeons sur le chemin du jour, si bien que le temps passe rapidement. Il ne faut pas traîner, même si je suis en bonne compagnie. C’est souvent le cas de dépasser l’heure prévue du départ. Le Chemin m’appelle.
Francine propose de m’accompagner pour me mettre sur le chemin balisé. En route, j’ai droit à ses commentaires passionnés des lieux traversés. Elle aime profondément sa ville. Elle m’amène notamment auprès des deux serpents ailés de bronze de la rue Ricard réalisés en 1992. J’ai appris ensuite qu’il y en avait deux autres situés dans la rue du Temple. Elle me conta cette légende.
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Un énorme serpent ailé amphibie sévissait dans le marais proche, la Sèvre Niortaise et même sur la terre ferme. Il s’était réfugié dans un vaste souterrain, près de l’actuelle avenue Saint-Jean. Sortant de son repère, il enlevait des habitants. Il fut proposé à un soldat déserteur condamné à mort, Jacques Allonneau, la grâce s’il parvenait à l’anéantir. Vêtu d’une armure d’acier, et d’un épais masque de verre, le militaire parvint à blesser mortellement le dragon en lui enfonçant son glaive dans la gorge. Croyant la bête occise, il ôta son casque de verre qui le protégeait du venin. Bien mal lui en prit ! Dans un dernier souffle, le dragon lui cracha du venin au visage, entraînant son décès.
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En reconnaissance de son sacrifice, un tombeau fut érigé dans le cimetière de l’hôpital général, faisant l’objet d’une grande vénération de la part des Niortais pendant de longues années. Un soldat couvert d’une armure était représenté sur la pierre de sa tombe. Un serpent avec ses ailes qui se dressait en tordant sa queue était gravé à ses côtés. Légende ou réalité ? À vous de conclure. Cette légende fait écho aux dragonnades, nom donné aux persécutions dirigées sous Louis XIV contre les communautés protestantes. Les Dragons, un corps d’armée royal était chargé de convertir par la force les huguenots.
Le temps passe, il est maintenant neuf heures passées, il me faut prendre mon cheminement. Francine m’accompagne jusqu’au port Boinot pour me permettre de prendre mon envol le long de la Sèvre Niortaise. Merci à vous, Francine de votre accompagnement intéressant et généreux. Je poursuis le long de la rivière et de ses méandres pendant plusieurs kilomètres. Le parcours est très agréable.
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J’arrive à Bessines où je devais initialement dormir. Oublions ! En fait, ce désagrément fut largement compensé par l’accueil de Francine. Comme quoi, un imprévu négatif peut se transformer en solution positive. Je traverse l’ancien et calme village, loin de la zone commerciale entrevue lorsque j’ai pris le blablabus de mon passage précédent.
Mon attention est attirée par la présence d’un petit homme vert rejetant de l’eau par ses orifices corporels. Je vais le retrouver à plusieurs reprises.
Haut de 86 cm, ces petits hommes-fontaines sont installés sur le réseau d’eau de la commune. Ils ont été réalisés en 1991 par Fabrice Hyber à la suite d’une commande publique de mobilier urbain, imaginant le lien étroit existant avec le Marais poitevin. Pour son créateur, l’Homme de Bessines représente « l’engagement écologique, la fluidité, le partage et la responsabilité de chacun comme autant de façons de vivre de demain ». J’ai appris depuis qu’une trentaine d’eux avaient été exposés dans la fontaine des jardins du Palais royal à Paris, en 2022.
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Continuant mon chemin en passant par La Pierre-Levée, un hameau de Bessines, devant la maison natale de Jean Richard, acteur iconique de Maigret et homme de cirque. Pour nous les boomers, toute une partie de notre jeunesse. De nos jours, la maison est transformée en chambres d’hôtes.
Non loin de Frontenay, je découvre l’histoire de la pêche aux anguilles du marais. Comme quoi, même si l’on chemine, nous pouvons nous intéresser aux traditions locales qui nous enrichissent sur la vie et la mentalité de ses habitants.
Le temps n’est pas si lointain où l’anguille du marais, salée et mise en sacs, était expédiée par dizaines de charrettes dans tout le Grand Ouest.
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N’est pas pécheur d’anguille qui veut. Déposer la bote au bord du fossé est tout un art. Qu’est-ce qu’est d’ailleurs cette bote ? Fabriquées à l’aide de brins de saule, de ronce et d’osier, on l’appelle localement bourole, bourgne, bourgnon ou bossèle. Allongée d’une soixantaine de centimètres, étroite de cinq à dix centimètres, elle permet de piéger l’anguille qui y pénètre. Continuons notre pêche. Il faut tenir compte de la saison, du temps, de la configuration du lieu… Un peu comme le pêcheur classique, chacun connaît le meilleur endroit… dont on ne parle jamais. Surtout, il faut être maraîchin, car avec la bote, il faut sentir l’anguille s’y précipiter et être prompt à la lever au bon moment. Si vous êtes gourmet, n’hésitez pas à déguster la fameuse matelote.
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C’est maintenant l’arrivée à Frontenay-Rohan-Rohan, aux portes du Marais poitevin. Je me rends chez Marie-Danielle, mon hospitalière du jour. L’accueil est chaleureux, et bientôt je déguste sur la terrasse la boisson d’arrivée. Marie-Danielle n’a jamais fait le Chemin, mais comme celles que je désigne sous l’appellation de pèlerins immobiles, elle se situe bien dans notre état d’esprit jacquaire. Comme je m’interrogeais sur le nom du village, notamment du fait qu’il porte à deux reprises le patronyme de Rohan, elle m’en apporte l’explication historique.
Lors de la révolte d’Hugues X de Lusignan contre Alphonse de Poitiers et son frère Louis IX, la ville est prise en 1242 par l’armée royale après un siège de quinze jours. En représailles, les murailles sont rasées. La cité est alors appelée Frontenay-l’Abattu. Sous Louis XIV, elle perdit ce nom pour prendre celui de Rohan-Rohan en référence à un événement historique. En 1517, Pierre de Rohan, maréchal de France et seigneur de Frontenay, épouse sa cousine Anne de Rohan. Au XVIIIe siècle, la baronnie est érigée en duché-pairie. La famille prend le nom de Rohan-Rohan afin de ne pas confondre avec les Rohan de Bretagne. À la Révolution, la commune reprend le nom de Frontenay. Elle est renommée Frontenay-Rohan-Rohan par décret du 15 mars 1897.
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Marie-Danielle me propose d’inviter à dîner Alain et son épouse qui nous ont mis en contact. Bien entendu, je suis d’accord, car j’avais bien apprécié son intervention pour me trouver une solution après la défection de Bessines. Alain était même prêt à me recevoir si Marie-Danielle ne le pouvait pas. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés quatre à table. Une très belle soirée où nous parlons de Compostelle, mais aussi d’histoire, du Marais poitevin… Ce dîner fut aussi pour moi l’occasion de découvrir le Duhomard, un apéritif à déguster sans « mayonnaise », issu de la région de Thouars que j’ai traversé lors de mon cheminement.
Son histoire débute dans les années folles. Le traditionnel Banquet de Massais rassemble chaque année les voyageurs de commerce de la région réputés pour leur gaieté et leur convivialité. En 1922, lors d’une partie de pêche de renom, l’un d’eux a la surprise de sortir des eaux douces de l’Argenton, un crustacé semblant tout droit venu de l’océan, mais remarquable par sa couleur rouge. Dès 1828, inspiré par cette pêche miraculeuse, il crée un apéritif qu’il baptise Duhomard qui reste, un siècle plus tard, le symbole régional de cet esprit de partage et de convivialité.
Notre dîner s’est terminé dans la convivialité vers 23 h 30, tant nos échanges étaient passionnants. Merci à vous trois pour cet excellent moment.
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