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Publié par Alain Lequien

 

   A 7h00, je quitte le gîte pour Marols situé à quatre kilomètres de là. La montée est assez raide, alternant routes et chemins de forêt. Le temps est frais. Le soleil ne va montrer le bout de son nez qu’aux alentours de onze heures. La forêt est magnifique et les chemins pierreux. Parfois, des petits ruisseaux de montagne (nous sommes à mille mètres d’altitude) se glissent entre les pierres. Il faut faire très attention dans les descentes pour ne pas choir. Des petits ponts improvisés empêchent de ne pas trop se mouiller les pieds.

   Comme la nature est belle, je prends le temps de m’arrêter pour observer ce qui se passe autour de moi. Ici, aucun bruit de la civilisation. Seuls, les bruits du vent, des oiseaux criant dans les airs ou s’échappant des arbres à mon arrivée, du ruissellement de l’eau qui descend parfois en cascade. Parfois, un pré apparait comme une blessure de la forêt. Sans oublier les odeurs que redécouvre l’urbain que je suis. Un autre monde, le vrai, celui de mère Nature. De temps en temps, une petite maison et un chien aboyant à plusieurs centaines de mètres de là. Toujours pas de pèlerin à l’horizon depuis ma rencontre avec Christian.

   Non loin de Marols, une maison affiche avec fierté la coquille stylisée de monsieur Jacques. Un passionné du Chemin ou un ancien pèlerin. Marols est une belle petite cité à l’église fortifiée. Sur la place, deux hommes discutent autour d’une pouliche. Il ne semble pas d’accord. En m’apercevant, ils arrêtent leur conversation, me font un signe amical et reprennent leur débat de plus belle.

   Je prends la direction de La-Chapelle-en-Lafaye située six kilomètres plus  loin. De nouveau la remontée, car entretemps, j’étais descendu à huit cents mètres d’altitude. Toujours beaucoup de genêts éclairant la succession de chemins pierreux d’un jaune lumineux.

   D’ailleurs, sur l’un d'entre eux très facile pourtant, alors que je regardais un étang où j’entendais des crapauds et voyais des oiseaux y plonger, je vais buter sur une pierre et m’étaler de tout mon long. Cela me fit rire, je suis un peu maso parfois. Pourtant, j’ai tout le bras droit écorché et le sang coule. Je reste deux/trois minutes à terre, détache mon sac. J’ai un peu de mal à me relever. Le genou droit me fait mal à cause du choc, mais rien de grave. J’utilise l’eau de ma poche pour nettoyer les grandes stries de mon bras et surtout pour enlever les petits cailloux qui s’y sont infiltrés.

   Et je râle ! Non contre le pauvre caillou qui s’est trouvé là par hasard, mais contre moi pour ne pas avoir fait attention. J’utilise la crème contre les brûlures, acquise à Montbrison, pour aseptiser le tout. C’est cela aussi le chemin : faire face aux imprévus et petits désagréments. Je profite de cet incident pour faire une halte, car le genou tire un peu.

   Une heure plus tard, en boitillant, je reprends la route. Entretemps, seul un vététiste est passé. Encore et toujours des chemins pierreux, puis des moins difficiles en forêt. C’est la descente vers La-Chapelle-en-Lafaye. Des publicités annoncent la présence de gîtes ou de restauration locale. Pas envie de m’arrêter. Je traverse rapidement ce village pour me rendre à Montarcher, le village le plus haut de la Loire, à mille cent cinquante mètres d’altitude.

   Autant dire que pour y accéder, il va encore falloir donner un sacré coup de reins sur un sentier raide. Là-haut, peu de monde y vit, une cinquantaine de personnes tout au plus. La vue est magnifique.

   Vers la montée de l’église, une grande coquille en métal est incrustée dans le sol, et l’abreuvoir à eau de pèlerin me rappelle certains découpages en métal déjà vus en Espagne lors de mon premier Camino. Quant à l’église, elle est d’une grande beauté rustique.

   En redescendant par le chemin de garde de la forteresse, je prends le temps de m’asseoir pour bénéficier de la vision magnifique de ces champs que je vais bientôt traverser.

   Alors que je rêvassais, deux vététistes arrivent. Ils ont monté le chemin raide avec leurs vélos et sont complètement essoufflés. Profitant peut-être de ma présence, ils s’arrêtent. L’un d’eux voyant mes blessures au bras qui suintaient m’interroge sur ma chute. S’annonçant médecin, il me propose de regarder. J’accepte bien sûr, il ne faut pas faire le malin. Il sort sa trousse et désinfecte les longues traces en me disant que ce n’est rien et qu'elles sont superficielles. Il me met un long pansement.

   « Retirez-le ce soir, et laissez à l’air libre, me dit-il. Attention quand même au soleil. »

    Il me tâte le genou, car celui-ci me lance.

   « Ça va, il n’y a rien de cassé. Je vous conseille de voir un médecin en ville si la douleur persiste »

    Je le remercie. Il me répond que c’est normal :

   « Même si je ne fais pas Compostelle comme vous, il faut savoir être solidaire. D’autant que vous êtres bigrement courageux d’entreprendre cette aventure. »

   Après leur départ, je me suis dit avec une grande émotion qu’il y existait des gens remplis d’amour pour les autres. 

   Je reprends mon périple avec la traversée de nombreux petits villages ou hameaux. Une pancarte propose deux chemins aux marcheurs. Le parcours de saint Jacques avec soixante-kilomètres pour atteindre Le Puy-en-Velay, ou le GR 3 avec plus de quatre-vingts kilomètres. Devinez lequel je choisis. Le jacquaire… Je ressens moins mon genou comme si ce médecin m’avait rassuré. Ah, parfois le mental…

   Je passe aux Granges, à Usson-en-Forez. Il fait très chaud. Un bar qui venait de fermer accepte de me servir un grand coca bien frais (merci pour ce geste amical). Deux personnes âgées d’une maison de retraite voisine viennent discuter avec moi, car elles sont attirées par mon barda : « Que portez-vous, c’est lourd ? » Rien sur Compostelle. C’est au marcheur qu’elles s’adressent, pas au pèlerin. Sur les conseils de la tenancière, je visite l’église, et aperçois sur le haut de la nef une coquille. Hélas, la photo ne donnera rien. Trop sombre…

  Je quitte Usson en traversant une grande scierie pour Pourtempeyrat où j’ai l’intention de faire halte. Après la montée, les marques du chemin ont dû m’échapper. Je me retrouve dans un petit village. Un couple me remet dans le droit chemin après m’avoir donné trois grands verres d’eau fraiche qui étaient les bienvenus.

   Retour en arrière. Je retrouve le bon sentier. Traversée d’une nouvelle forêt puis de champs m’amenant au hameau surplombant ma destination. En passant, j’entame la conversation avec un couple. Je m’incruste (mais non, m’écoutez pas, ils m’ont invité) pour boire de l’eau et surtout changer celle de ma poche d’eau devenue chaude. Nous discutons de la Savoie, car ils sont originaires de Chambéry. Nous parlons de cette montagne si belle, du Mont-Blanc, du refuge du Goûter (j’y ai fait halte à trois reprises pour gravir le Mont-Blanc), du col de la Croix du Bonhomme… Bref, nous étions entre montagnards.

   Revigoré, je traverse de nombreux chemins herbeux plus ou moins accueillants avec des épines, orties et ruisseaux. En arrivant au village, je découvre que le gîte où je voulais m’arrêter est en fait une chambre d’hôtes. Point pour moi de céder à la tentation d’un lieu certes sympathique peut-être, mais onéreux. Je traverse l’Ance et me retrouve en Haute-Loire. S’il a fallu descendre de cent cinquante mètres de dénivelé, il faut les reprendre de l’autre côté de la rivière.

   C’est maintenant un long chemin qui va me mener à Saint-Georges-Lagricol, huit kilomètres plus loin. J’arrive épuisé vers 20h00.  Dure journée de trente-sept kilomètres. L’hospitalier, malgré l’heure tardive et un mouvement d’humeur, m’installe. Il m’apporte largement de quoi me restaurer. J’y rencontre un couple d’Allemands de Stuttgart (comme le pèlerin vu à Fontaines et Taizé). Lui est le fermier d’un aristocrate allemand, son épouse travaillant dans la boucherie d’un supermarché. Nous discutons en anglais. Ils déplorent de n’avoir rencontré que peu de pèlerins. Je suis le second.

   Pour le premier, ils se sont arrêtés pour l’attendre afin d'entamer une conversation amicale. Mais celui-ci sans ralentir leur aurait dit en passant : « Je n’ai pas le temps ». Était-ce Christian ? Cela lui ressemble fort. Vers 22h00, je tombe rapidement dans les bras de la grande Morphée.

   À demain - Alain, Bourguignon la Passion.   

 

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